Le 28 mars 2024, Stéphanie Prat Eymeric, secrétaire fédérale FGTA-FO, et Léo Lasnier, assistant confédéral, ont été auditionnés à l’Assemblée Nationale dans le cadre d’une enquête sur le modèle économique des crèches et sur la qualité d’accueil des jeunes enfants au sein de leur établissement.
Retrouvez l’intervention de FO :
“Monsieur le Président de la commission d’enquête,
Mesdames et Monsieur les députés,
FO vous remercie pour cette invitation à cette commission d’enquête sur le modèle économique des crèches et sur la qualité de l’accueil des jeunes enfants au sein de leur établissement.
La question du bien-être et de la sécurité des bébés, et des salariés travaillant dans le secteur de la petite enfance est pour notre confédération un sujet extrêmement important dont il faut se saisir à bras le corps.
D’abord car il en va de l’une mission principale de la branche famille de la sécurité sociale, à savoir garantir une conciliation de la vie professionnelle et personnelle en permettant aux parents de faire accueillir leurs enfants à un coût abordable dans un environnement de qualité. La réussite de cette mission passe d’abord par la mise à disposition des familles d’un système d’accueil du jeune enfant de qualité et accessible.
Or, et notre organisation syndicale n’a eu de cesse de le rappeler depuis près d’une décennie : les carences en matière de création de places de crèche fonctionnant à la PSU sont propices au développement anarchique des micros-crèches fonctionnant à la PAJE. Cette carence de l’Etat a donc été extrêmement profitable au secteur marchand, mais dramatique :
- à la fois pour les familles car seul les structures fonctionnant à la PSU garantissent une mixité sociale grâce à un reste à charge soutenable pour les parents;
- mais aussi dommageable pour l’ensemble des métiers de la petite enfance. En effet, et comme le souligne très justement le dernier rapport de l’IGAS-IGF sur le modèle de financement et de qualité d’accueil des micros-crèches c’est la logique de profit qui commande la gestion de ces établissements privées. Cette logique de profit est favorisée par un cadre réglementaire beaucoup moins exigeant que dans les EAJE fonctionnant à la PSU. Ainsi, et par mimétisme avec ce qui se passe dans les EHPAD, ce type de crèche vise avant tout la rentabilité en acceptant un maximum d’enfant tout en recourant à un minimum de personnel.
Cet objectif rentabilité n’est d’ailleurs pas en adéquation avec une meilleure attractivité du secteur, puisque tout est fait pour ramener les coûts vers le bas (que ce soit la masse salariale, les plans de formations, l’investissement dans la rénovation des locaux, etc.).
Mais elle n’est aussi pas en adéquation avec une meilleure qualité de prise en charge. En effet la parution des deux rapports de l’inspection générale des affaires sociale (IGAS), et des ouvrages « Babyzness » et « Le prix du berceau », viennent dresser un constat accablant du secteur des crèches privées : ration sur la nourriture, des bébés pas changés, oubliés dans les dortoirs, maltraitance, insuffisance de contrôles, salariées en situation de burn-out, c’est la course aux profits et à la rentabilité qui domine le secteur des crèches privées !
Il est donc urgent d’agir pour mettre fin à ce délaissement du secteur de la petite enfance au secteur privé. Pourtant, malgré les polémiques à répétition, aucune réponse forte n’a été apporté par le gouvernement… Et ce alors qu’il y avait de la matière pour agir notamment au travers des 39 recommandations du premier rapport de l’IGAS dont FO en revendique l’application.
Pire encore, la situation délétère dans lequel se trouve le secteur à la fois en matière de condition de travail, de pénurie de professionnel, de qualité de service est avant tout le fait de décision politique désastreuse.
En effet, l’on peut citer l’ordonnance n°2021-611 du 19 mai 2021 relative aux services aux famille qui a permis :
- De modifier les taux d’encadrement en permettant à un adulte d’accueillir un groupe de 6 bébés par crèches, en comparaison d’un taux d’un adulte pour 4 enfants en Allemagne et 1 pour 3 au Danemark ;
- D’autoriser les EAJE à accueillir chaque jour 15% d’enfants en surnombre, dans des surfaces pourtant inchangées ;
L’on peut aussi citer l’arrêté du 29 juillet 2022, relatif aux professionnels autorisés à exercer dans les modes d’accueil du jeune enfant et qui permets aux EAJE de recruter sous certaines conditions jusqu’à 15% de non professionnels (sans diplôme, ni expérience). Ainsi, sous prétexte de la pénurie de professionnels qui s’aggrave, les bébés se retrouvent entre les mains de personnes non qualifiées. Or, la gestion d’un enfant en bas âge n’est pas à la portée du « premier venu », c’est un métier à part entière, le manque de personnel ne peut pas tout justifier. Ce type de mesure porte atteinte à la reconnaissance des métiers, et tire une nouvelle fois les qualifications ainsi que les salaires vers le bas. Pour FO ces recrutements de personnels non qualifiés doivent être mis à profit pour épauler les professionnels de la petite enfance et non pour les remplacer.
Cette dégradation notamment dans les conditions d’accueil et les taux d’encadrement, sont catastrophiques pour l’ensemble du secteur de la petite enfance. En effet, les remontées de terrain sont très inquiétantes à ce sujet. D’abord, pour les bébés qu’on laisse pleurer dans les lits sans pouvoir changer leur couche. Mais aussi pour les salariés placés dans une situation de surcharge professionnel avec des risques accrus pour leur santé physique (TMS), et psychosociaux (stress, burn-out, etc..).
Ainsi et vous avez pu le constater à travers ce bref constat non exhaustif de la situation, les chantiers sont colossaux, pour permettre une meilleure attractivité des métiers de la petite enfance. Le sujet est capital si l’on veut un service public de la petite enfance efficient, et si l’on souhaite parvenir à la création des 35 000 places de crèches financées par la PSU tel que prévu dans la COG.
Pour ce faire FO revendique :
- La suppression de toutes les dernier(e)s lois/arrêtés/décrets portant une dégradation des conditions d’accueil tel qu’évoquée précédemment ;
- Une réglementation plus stricte quant à l’ouverture des micros-crèches du secteur privé notamment celles qui fonctionnent à la PAJE, en accordant aux CAF un rôle prescripteur afin d’éviter une concurrence sauvage destructrice de places ;
- Une harmonisation des qualités d’accueil en imposant à minima aux micro-crèches PAJE les mêmes normes que celles qui s’appliquent dans les crèches fonctionnant à la PSU (prestation de service unique) ;
- Un renforcement des moyens humains et matériels de la PMI afin que soient mis en place de véritables contrôles systématiques et inopinés (avec une fréquence minimale de contrôle obligatoire) ;
- Un renforcement des sanctions contre les établissements qui ne respecteraient pas la réglementation applicable : suppression et remboursement des aides publiques (CAF, collectivités, …) mise en place de pénalités administratives extrêmement lourdes et dissuasives, et saisine automatique des procureurs dans les cas où la santé et la sécurité des enfants et des personnels sont en danger ;
- Financement des établissements conditionné à des objectif de qualité ;
- Une transparence en matière d’informations relatives au fonctionnement et à la rentabilité dégagée par le secteur privé lucratif percevant des fonds publics ;
- Un plan de revalorisation des métiers de la petite enfance : évolution de carrière, droit à la formation, etc. ;
- Des contraintes beaucoup plus fortes pour obliger les EAJE à négocier des CCN permettant de mettre en œuvre une grille de salaire attractif ;
- Une meilleure prise en compte de la pénibilité.
FO se tiendra toujours disponible pour faire face aux défis qui relèvent du secteur de la petite enfance à la fois pour le bienêtre des petits, des parents et des professionnels du secteur.
En vous remerciant pour votre écoute.”