Aldi, chaîne de supermarchés hard-discount, est aujourd’hui le 5e distributeur mondial, derrière Walmart, Amazon, Costco et Lidl, et loin devant Carrefour ! L’enseigne, simple épicerie familiale créée en Allemagne en 1913, connaît un fort développement au sortir de la Seconde Guerre mondiale. Scindée en deux entités (Aldi Nord et Aldi Sud), elle dispose de plus de 8 000 magasins dans quinze pays. Elle est implantée en France depuis 1988 et, après le rachat, pour 735 M€, de 567 magasins Leader Price en 2020, compte désormais près de 1 500 magasins et 15 000 salariés dans notre pays, répartis sur 13 centrales régionales indépendantes, avec chacune un entrepôt. Son concept : des prix très bas, un aménagement sobre, des salaires plancher et un personnel réduit au minimum.
Antoine Gros, Délégué syndical FO, a créé en 2022 avec son équipe une section syndicale dans la centrale Aldi Honfleur, qui couvre une grande partie de l’ouest de la France, avec 184 magasins (FO y était présent depuis 2017). Il nous présente son périmètre, nous parle de son vécu d’employé et de syndicaliste, de ses succès et ses désillusions, de la politique sociale rétrograde de l’enseigne, ses dialogues de sourds avec la direction, et des revendications qu’il va porter aux prochaines NAO…
« Une PME qui veut faire de la grande distribution… »
« Aldi s’est ouvert à la communication en investissant en 2021 un budget de près d’un milliard d’euros parce que l’enseigne n’était pas très visible sur le territoire. Il y a eu juste avant le rachat de Leader Price et depuis deux ans, Aldi, c’est une vraie usine à gaz. Il a fallu intégrer de très nombreux salariés, récupérer plus de 500 magasins, des entrepôts. Le parc Aldi existant au moment du rachat étant de 980 magasins, on est passés à près de 1 500, avec plus de 15 000 collaborateurs répartis sur la France entière ! Le business plan Aldi, c’est d’être autant implantés qu’en Allemagne (5 000 magasins) ou en Belgique. La marque avait 2,3 % de part de marché avant le rachat de Leader Price, qui représentait 2 % de part de marché mais comme le rachat a été fait dans la période compliquée du Covid et de ses suites, le rachat ne nous a octroyé 0,4 point seulement en plus, ce qui nous a fait passer à 2,7 %, ce qui n’est pas suffisant, mais les investissements sont prévus pour les 30 prochaines années. Et on voit que Lidl, qui nous a abreuvés de publicité depuis des années récolte les fruits avec plus de 7 % de part de marché en France. Les gens considèrent que les grands discounters sont Lidl et Aldi, or Lidl est passé au niveau supermarché depuis quelques années, ils sont bien au-delà de nous et dans le concept, ça n’a plus rien à voir. Nous, on est une PME qui veut faire de la grande distribution. Eux se sont donné les moyens d’investir et de gagner des parts de marché, ils ont bien pris le virage et Aldi s’en mord les doigts et malgré la récupération de Leader Price, ça ne fonctionne pas aussi bien qu’ils le voudraient.
Il y a deux ans, dans ma centrale, nous étions 700 salariés et il n’y avait même pas de service ressources humaines ! Ils sont très durs au niveau des salaires et c’est la raison pour laquelle nous avons créé la section syndicale. À force d’avoir le minimum légal, les salariés en sont venus à se diriger vers les syndicats. Il n’y avait à l’époque que la CFE-CGC et la CGT, et on a créé, avec les salariés de l’entrepôt Aldi Honfleur, la section syndicale Force Ouvrière, de manière à pouvoir participer aux réunions, mettre en évidence les manquements d’Aldi, notamment par rapport à la réglementation légale. En passant sous les radars, ils se permettaient de faire des choses qu’ils n’avaient pas le droit de faire, et avec un syndicat face à eux, ils ont été obligés, dans bien des cas, de respecter la loi, et pour une entreprise qui a l’habitude de tout écraser, c’est compliqué.
10 sièges sur 13 au CSE !
Aldi, sur le territoire français, est réparti en 13 centrales, Aldi Honfleur, Aldi Toulouse, Colmar, Dammartin… Chacune a son entrepôt. Je suis le délégué syndical FO pour Aldi Honfleur, qui représente une grande partie de l’ouest de la France, du Tréport jusqu’à Royan et Limoges, Angers, Angoulême, un secteur énorme, avec 184 magasins, et je représente leurs salariés. Il y a des membres FO qui siègent au CSE d’autres centrales, mais malheureusement, ils ne se sont pas manifestés auprès de la Fédération, ni même auprès de leur UD ! J’ai contacté mes secrétaires fédérales, Carole Desiano et maintenant Angélique Bruneau, qui m’ont confirmé qu’elles n’avaient aucun rapport avec les délégués syndicaux FO des autres centrales. C’est bien dommage de ne pas leur parler, alors même que j’ai des rapports avec les délégués des autres syndicats sur ces mêmes centrales ! Nos camarades FO n’ont peut-être pas réussi à prendre la place qui devrait être la leur, par rapport aux autres OS.
À Honfleur, on a la CGT et la SNCDD (nouveau nom de la CFE-CGC dans la grande distribution). FO a littéralement explosé lors des élections et on dispose de 10 sièges sur 13 maintenant. Le fait qu’on est ultra-majoritaires nous permet de faire des analyses comptables et actuellement, on est dans une grosse phase d’opposition avec la direction qui ne veut surtout pas d’experts sur les conditions de travail, qui mettraient en évidence tous leurs manquements. Cela fait quatre mois qu’ils font un délit d’entrave sur les experts et font venir des cabinets d’assistants de direction et prétendent qu’ils sont des experts-comptables, alors que ça n’a rien à voir ! Nous, on réclame uniquement le droit du travail, et eux, ils sont habitués depuis des années à être un rouleau compresseur qui écrase tout et ils s’en moquent complètement. L’expert que nous avons mandaté a été convoqué lors de la dernière réunion CSE et n’a visiblement pas été écouté par la direction, puisque celle-ci a répondu par courrier en stipulant qu’il s’agit des RTS alors que le périmètre de la mission d’expertise porte sur la politique sociale et les conditions de travail…
Quand l’inspecteur du travail passe dans un des magasins Aldi et constate des dysfonctionnements, la direction fait en sorte de les traiter, certes, mais elle ne va surtout pas appliquer les solutions aux autres magasins !
La direction nous a demandé de faire des réunions préparatoires sur les NAO, mais ce sont eux qui nous disent ce qu’ils veulent, et quand on essaye de sortir des arguments, des revendications sur la revalorisation des salaires en raison de la forte inflation, c’est toujours « niet ». Ils disent « on fait de la prime éventuellement mais on ne négocie pas les salaires, ou très peu ! » En janvier 2022, nous avons obtenu 2 % d’augmentation, rien de plus depuis, sauf 1 % sur les anciennetés. Ils ne souhaitent pas fidéliser pas les salariés.
Du coup il y a un turn-over très important. Quand j’ai commencé chez Aldi, j’ai dit « attendez, ce n’est pas normal, les salariés des autres enseignes vont obtenir des avancées, pourquoi nous, sur nos lignes de NAO, on n’a qu’une seule phrase ? » Ils m’ont répondu « parce que chez Aldi, c’est comme ça, et ça ne changera pas ! » Mais depuis deux ans, il faut reconnaître que nous parvenons à obtenir des miettes en plus…
Alors je fais tout ce que je peux pour faire bouger les choses, mais on se trouve face à un mur : ils ont dépensé près d’un milliard 400 millions en 2021 avec le rachat de Leader Price et la publicité et comme ils veulent un rapide retour sur investissement, ils risquent de sacrifier les salaires et les conditions de travail.
Deux employés dans un magasin de 1 200 m2 !
Le concept d’Aldi, c’est la VHP, Vente/Heure/Personne : vous prenez le chiffre d’affaires net de l’année dernière du magasin, vous le divisez par le nombre d’heures où vous êtes ouvert et ça vous donne le nombre de salariés que vous pouvez employer dans le magasin pour être rentable. C’est une formule mathématique qu’on apprend dans les écoles de commerce. Aldi colle à ce modèle. On voit bien la théorie sur le papier, mais la pratique, sur le terrain, avec des clients, des problèmes de caisse, tous les soucis qu’on rencontre dans un magasin, ce n’est juste pas possible, mais eux, ils ne voient que la théorie.
Donc dans des magasins comme le mien, qui fait 1 200 m2, on est deux par demi-journée ! Un en caisse, et l’autre qui fait tout, à tour de rôle ! Le concept, c’est le minimum de salariés au sein du magasin. Pour ma part, le matin, je suis boulanger, ensuite je mets en rayon, après je me dépêche pour le frais, la viande, les fromages, etc., et en même temps, j’ai la caisse… Ensuite, il faut que je fasse le ménage des locaux sociaux, les toilettes, la salle de pause, il faut que m’occupe de la presse et que je reçoive le camion de frais… On s’expose aussi des braquages, et d’ailleurs, dans mon magasin, je dois aussi assurer la sécurité. Mais quand je suis à la boulangerie et mon collègue aux palettes, il n’y a personne au coffre, avec tous les risques que cela comporte.
La première équipe arrive à 7 heures, il y en a un qui s’occupe des fruits et légumes et l’autre qui fait le pain, ensuite on ouvre le magasin à 8 h 30. À 12 h 15 la deuxième équipe arrive, on fait un changement de caisse, à 13 heures, ils reprennent jusqu’à 20 heures. Mais ça, c’est dans mon magasin, et je vois que sur les réseaux sociaux que dans d’autres magasins c’est encore pire, avec certains qui ne respectent pas les temps de coupure légale. Et ils ne respectent pas non plus la période de 11 heures entre le moment où on quitte le magasin et celui où on reprend le lendemain matin ; je suis le premier à le dénoncer, mais ils s’en fichent. Quand c’est moi qui je termine le soir, je ferme le magasin à 20 heures, je devrais être sorti à 20 h 15 mais il y a le ménage, l’administratif de la fin de journée, les chèques, le dernier client en retard… Du coup je ne pars qu’à 20 h 30, mais quand le lendemain je reprends à 7 heures, ça ne fait plus que 10 h 30 entre les deux amplitudes. Ils s’en fichent. Alors on me dit « quand vous avez travaillé chez Aldi, vous pouvez aller partout ! »
« Je ne pensais pas qu’on pouvait être exploité à ce point ! »
Chez Aldi, c’est sans doute allé trop vite, ils ne se sont pas donné les moyens en termes de formation et de recrutement. Ils ont dû faire évoluer très rapidement des gens qui n’avaient peut-être pas les compétences ni les formations. Chez nous, il n’y a pas de caisses automatiques : vous avez des salariés… qui courent ! Quand je suis sur une palette ou en train de ranger les cartons, si quelqu’un se présente à la caisse, il va me dire, comme beaucoup d’autres : « Ah, je croyais que je pouvais partir sans payer ! » Le concept, c’est il n’y a pas de caissier en titre. On nous dit « c’est toi, Guillaume, qui aura la caisse ce matin, mais tu auras aussi le pain, le frais, les palettes, la remise en rayon, le tour carton ». Et quand je reçois des nouveaux embauchés et que je les amène dans le magasin, ils me disent : « il faut que je fasse tout ça ? » Je leur dit oui, c’est le concept, et c’est dans ton contrat que tu as signé, tu n’as pas le choix. Ils protestent « ce n’est pas possible, je ne peux pas, je n’ai que deux bras ». Je leur réponds « si, si tu veux réaliser le process dans sa globalité, il faut que tu trottines ! »
Et de fait, les gens ne restent pas. Une nouvelle employée m’a dit « je ne pensais pas qu’on pouvait être exploité à ce point ». Malheureusement, quand les gens ont besoin d’argent, ils sont prêts à accepter tout et n’importe quoi. Ce qu’ils veulent c’est une fiche de paie tous les mois, et Aldi leur promet, parce que c’est une grande boîte… Il n’y a jamais eu de problème de paie dans notre centrale, puisqu’il y a une expérience et du savoir-faire et ça rassure les gens, mais je sais que d’autres centrales connaissent des difficultés sur ce plan-là et que cela a fait l’objet de grèves dans certains magasins. Les salariés, au bout de quelques années, ils démissionnent, parce qu’ils sont sur les rotules, parce qu’au bout d’un moment le corps ne suit plus, mais avant ça, ils restent ! Je suis bien conscient qu’on ne fait pas du tout le même métier que les gens de Carrefour ou d’Auchan.
Rendez-vous à l’Inacs ?
Malgré ce contexte difficile, mon action syndicale me rend fier et fait que, humainement, j’avance… Mais je ne suis pas toujours suivi : lors d’une récente grève intersyndicale, je me suis rendu à la manifestation devant la mairie de Dinan et j’étais le seul Force Ouvrière, avec mon drapeau. On m’a dit que j’étais courageux de venir comme ça, mais moi, ça me fait mal au cœur, quand FO appelle à une grève intersyndicale, de voir qu’il y a juste les drapeaux d’autres organisations, alors qu’on est parmi les trois plus grands syndicats… Mais ce n’est pas à moi de juger les camarades du coin pour leur dire « pourquoi vous n’étiez pas devant la mairie alors que les autres y étaient ? » C’est à eux d’avoir cette responsabilité.
Lorsque nous avons créé la section syndicale, nous nous sommes rendus à l’UD FO de Caen, pour savoir comment se déroulaient les choses et on a été très bien accueillis par Pierre-Yves, le secrétaire, qui nous a répartis sur les formations du CFMS (centre de formation des militants syndicalistes FO). Ce qui fait qu’en trois ans, j’ai suivi toutes les formations possibles et mes camarades du CSE FO, je les oblige à faire au moins deux formations par an. Aujourd’hui, je souhaite mettre en place un nouveau calendrier pour 2023 où on pourrait se retrouver, tous les membres du CSE Force Ouvrière, à l’Inacs, de manière que les gens viennent se présenter auprès de la FGTA. C’est vrai qu’on ne se connaît pas vraiment. J’ai eu plusieurs fois Angélique au téléphone, mais on ne vient presque jamais à Paris. L’Inacs m’a proposé qu’on programme quelque chose ensemble, et je pense que ça va pouvoir se faire… Il est très important pour nous d’être soutenus, surtout quand on est isolés, parce qu’à la longue, c’est fatigant… On a besoin d’échanger avec des gens qui ont d’autres expériences, éventuellement dans d’autres enseignes. Je m’aide beaucoup des réseaux sociaux, je vais voir sur les sites des différents groupes, mais ils ont un long historique de luttes syndicales et de revendications, bien au-delà de nous…
Les chèques-cadeaux, c’est… peanuts.
Nous, on a une ou deux lignes côté patronal sur nos NAO ! Chez Aldi, ils n’entendent pas le fait que leurs salariés veulent être écoutés. Ils considèrent qu’ils viennent ici pour faire leur boulot, mais le dialogue social, j’ai l’impression qu’ils ne connaissent pas… Les considérations humaines, ils en tiennent à peine compte. Alors c’est constamment le conflit : ils m’ont dit que l’argent investi en 2021 et 2022, il allait falloir le récupérer quelque part, mais cet argent il ne peut venir que de nous, les magasins, les caisses et ceux qui sont en caisse.
On nous donne régulièrement de nouvelles tâches, de nouveaux process, très cadrés, et que l’on doit signer pour montrer qu’on en a bien pris connaissance. Si on ne les fait pas, c’est un motif de licenciement. Alors quand vous voyez les offres d’emploi pour Aldi Honfleur sur LinkedIn, on croit rêver : tout est basé sur « l’humain, le savoir-faire de nos équipes ! » Oui, de l’humain… en 30 heures, au Smic et en travaillant les dimanches ! Au directeur, je dis que ce que j’appelle « la dictature de la VHP » est insupportable pour les équipes sur le terrain, je ne suis pas Shiva, je n’ai pas huit bras, je ne peux pas en même temps mettre les cartons, passer les clients en caisse, parfois vous en avez cinq ou six qui attendent, et vous sentez leur impatience, mais vous ne pouvez pas appeler votre collègue pour qu’il prenne une deuxième caisse, parce qu’il est occupé avec la Brink’s ou qu’il est dans le congélateur… Il me dit « c’est parce que vous ne savez pas vous organiser ! »
S’organiser ? Il n’y a que cinq personnes pour faire 80 000 € de chiffre d’affaires par semaine, de 8 heures à 20 heures ! Où trouve-t-on le temps de faire des formations ? Comme on est en pression en permanence, je ne vois pas comment on peut faire évoluer les salariés. Certains passent au niveau supérieur, c’est vrai, mais avec un minimum de formation.
Comme je suis aussi trésorier du CSE, j’ai rencontré la personne des chèques cadeaux… Elle m’a dit « c’est ça votre compte social ? Vous avez le plus faible de tout ce que j’ai vu de toute ma carrière commerciale, 0,02 % ! Et pour vous, les chèques cadeaux, c’est peanuts, juste un chèque de 40 € à la fin de l’année, rien de plus ». Eh oui, rien de plus, et pourtant nous sommes le 4e distributeur mondial. L’argent, il est bien quelque part ! On a demandé aux experts-comptables que nous avons mandaté pourquoi Aldi n’a pas d’argent en France : ils nous ont répondu que l’argent repart directement en Allemagne, avec des montages financiers complexes, sur lesquels nous n’avons aucune action possible.
« Vous êtes le caillou dans la chaussure ! »
Et puis il ne fait pas bon être délégué syndical chez Aldi. Pour ma part, malgré mes six ans d’ancienneté et mes études (j’ai un bac +4 avec une licence), je suis toujours au Smic ! On m’a dit « tant que vous aurez vos mandats syndicaux, vous ne pourrez pas prétendre à évoluer dans l’entreprise ». J’ai compris que je suis rentré dans un système pervers où, en voulant améliorer le sort des autres, on se prend un retour de bâton sur le salaire et la carrière. Il aurait sans doute fallu que j’évolue avant de monter le syndicat. Or j’étais en bas de l’échelle et quand j’ai demandé à évoluer, on m’a dit « vous rigolez, vous êtes le caillou dans la chaussure ! Jamais vous n’évoluerez, tant que vous aurez vos heures de délégation et tant que vous ferez ce que vous faites ». Ça ne m’empêche pas d’avoir l’impression, par mon action au service des salariés, de grandir en tant qu’homme. Si je suis touché dans ma fierté, je sais que sur le fond, mon action est utile. Je ne suis pas là pour détruire Aldi, au contraire, je suis là pour faire avancer les choses, et je sais que si personne ne vient leur dire les choses en face, ils pourront continuer comme ça pendant des années. Il faut bien que quelqu’un leur dise leurs quatre vérités ! Et je dis au directeur « si un jour l’émission Envoyé Spécial tombe sur vous, va dans vos magasins, ça va faire très mal à l’enseigne… Quand je vais au Super U, à côté de chez moi, ils sont 25 dans le magasin. Nous, on est deux ! ». Ils répondent « ce n’est pas vous, Antoine, qui changerez les choses, chez nous c’est comme ça, et si vous n’êtes pas content, vous avez des offres sur Pôle emploi ».
« On fait comme ça depuis des années… »
Alors aux dernières NAO, on a quand même eu l’ancienneté, 1 %, une prime productivité pour les salariés de l’entrepôt, 30 € pour 50 salariés sur 1 600 ! Et un chéquier de 150 € de bons d’achat dans le magasin. Et c’est tout ! Ils ouvrent la porte à une prime assiduité, mais moi je leur parle salaire, prévention, conditions de travail… Ce que nous demandons, j’en ai dressé la liste, que je mettrai sur la table à la prochaine réunion :
- L’augmentation des salaires de 10 % compte tenu de l’inflation, de tout ce qu’on n’a pas obtenu les années précédentes et du fait que beaucoup de nos camarades sont au Smic. C’est un chiffre qu’on n’obtiendra jamais mais je le maintiens, parce que je colle à la réalité et ce sont eux qui détermineront à quel point ils se mettent des œillères vis-à-vis de la réalité.
- La majoration des heures du dimanche à hauteur de 100 %, sur tous nos points de vente.
- La reconnaissance du statut cariste en entrepôt. Chez Aldi, il y a des gens qui sont sur chariot élévateur toute la journée et qui ne sont pas reconnus caristes. Sur leur fiche de poste, ce sont des employés de magasinage. Aldi ne veut pas reconnaître le statut cariste.
- La prime d’ancienneté au-delà de neuf ans. À partir de neuf ans chez Aldi, vous ne touchez plus de prime d’ancienneté ! Celui qui a dix-huit ans d’ancienneté, il n’est payé que neuf ! La raison : ils n’ont pas envie de fidéliser leurs salariés. En revanche on touche maintenant de l’ancienneté au bout d’un an.
- La mise en place d’un système de cooptation des parrainages, parce qu’on a des problèmes de recrutement… Les gens sont au courant du fait qu’Aldi propose le minimum. Le bouche-à-oreille fait qu’ils ne postulent plus. De plus dans le contrat, il est spécifié que le bassin d’emploi est de 40 kilomètres, ça fait pour certains 80 km aller-retour, au prix où est l’essence, avec des indemnités kilométriques qui sont inférieures au barème légal. Chez Aldi, ils ont dit non, ils payent 46 centimes du km, au lieu du tarif légal de 70 centimes.
- La reconduction du chéquier de 150 €, des chèques de 3 € pour 10 € d’achat dans le magasin…
- L’augmentation de la part mutuelle obligatoire employeur: chez Aldi, elle n’est que de 10 €, quel que soit le régime que vous choisissez. Moi qui ai deux enfants, ma mutuelle me coûte 160 €, Aldi ne prend que 10 € ! Nous demandons qu’ils participent à hauteur de 50 à 70 %.
J’ai gagné cette année un jour de congé en plus pour nos chauffeurs, en compensation des heures de nuit qu’ils font chaque jour. Aldi n’avait jamais pris en compte qu’ils avaient droit à une journée de congé en plus par an en raison des heures de nuit. Si je n’étais pas allé chercher cette info, si quelqu’un ne me l’avait pas dit en formation, les chauffeurs ne l’auraient pas obtenu. Et Aldi, ça leur convenait très bien ! Quand on estime le nombre de jours de congé qu’ils ont gagné depuis le temps qu’ils ont ouvert la centrale, multiplié par le nombre de chauffeurs, ça laisse songeur !
Une dernière chose… Je me suis aussi aperçu qu’ils considéraient les jours fériés comme des jours de repos : le 14 juillet, pour eux, c’était un jour de repos ! Quand je leur ai dit que ce n’était pas normal, ils m’ont asséné « nous, on fait comme ça depuis des années et vous n’allez pas commencer à venir f… votre m… ! »
Alors dans les formations, quand je raconte tout ça, les délégués des autres syndicats sont sidérés, ils me disent « pourquoi vous ne débrayez pas, pourquoi vous ne faites pas la grève ? » Mais il faut avoir du monde derrière soi pour faire ce genre d’action ! Si personne ne vous suit, vous ne partez pas. Il faut se rendre à l’évidence, même si c’est dur à entendre quand on est militant : les gens acceptent tout ça parce qu’ils croient bénéficier d’un certain confort : Aldi ne parle pas de PSE, donne de petites gratifications de temps en temps et les gens se sentent rassurés, ils sont dans une « grosse boîte » et tant qu’ils sont là, ils sont assurés d’avoir leur paye à la fin du mois.
Propos recueillis par Olivier Grenot