En ouverture du XIVe Congrès fédéral de Caen, la FGTA-FO a organisé deux tables rondes « La crise de la Covid-19, avant, pendant, après » avec la participation d’élus syndicaux et de représentants d’employeurs.
En introduction, Dejan Terglav, Secrétaire général de la FGTA-FO, a souligné la forte implication des équipes syndicales durant la pandémie et a félicité les délégués pour le travail accompli. Pour Dejan Terglav, cette période appelle à tirer des conclusions d’où la nécessité d’organiser ces tables rondes afin d’alimenter la réflexion pour l’avenir.
Les participants de la première table ronde étaient :
– Didier Dorsy, coordonnateur FGTA-FO Pôle volailles du groupe LDC
– Pierre-Luc Daubigney secrétaire général de l’organisation des Poissonniers Écaillers de France
– Angélique Bruneau, permanente fédérale FGTA-FO et responsable du service juridique
– Lyes Abdi, délégué syndical central FO McDonald’s
Les participants de la deuxième table ronde :
– Stéphane Riffault, délégué syndical FO Herta
– Nathalie Devienne, déléguée syndicale centrale FO Casino
– Laurent Marembaud, directeur des affaires sociales de l’ANIA, DGRH Groupe Savencia
– Philippe Faucon, vice-président de la Commission employeurs de la FNSEA
– Anna Notarianni, présidente de la région France Sodexo
Lors de ces échanges animés par James Gisbert, consultant en cohésion sociale, chacun d’entre eux a pu revenir sur cette période inédite et ses conséquences sur les plans économique et social.
Morceaux choisis :
Lyes Abdi : « Au début de la pandémie, on s’est interrogés sur la façon de s’adapter pour mettre son mandat au service des salariés. Grâce aux nouvelles technologies notamment, on a pu avancer pour mettre en place un protocole sanitaire efficace dans un contexte où l’entreprise voulait maintenir ses restaurants ouverts pour continuer à faire du chiffre. On a dû gérer la forte inquiétude des salariés pour leur santé. Notre objectif numéro un a été de préserver la santé des salariés. Nous nous sommes attachés à maintenir un contact permanent avec les élus pour transmettre les bonnes informations juridiques et sanitaires afin d’être efficaces pour protéger les salariés (masques, adaptation des postes, circulation des clients, etc.). Si les choses n’ont pas toujours été simples, on sait que notre syndicat a permis de limiter les dégâts qu’aurait pu avoir la Covid sur les salariés que l’on défend.
Aujourd’hui, on a l’impression que toute la réflexion que l’on a pu avoir durant cette période sur le sens du travail et l’équilibre entre vie privée et professionnelle a été oubliée. Nous sommes repartis sur les problèmes de 2019 : fort turn-over, rentabilité à l’extrême, crise du pouvoir d’achat, travail de nuit et du dimanche, etc. Pour FO McDonald’s, les questions soulevées par la Covid-19 doivent être abordées, c’est un vrai combat en négociation ».
Pierre-Luc Daubigney : « Nous avons été fortement impactés, dans la poissonnerie artisanale, notamment sur l’approvisionnement au début de la crise.
Grâce à la visioconférence, nous avons pu avancer sur les leviers à activer pour offrir des protections aux salariés et aux commerçants.
Une des actions notoires a été d’offrir par l’association du paritarisme, présidée par la FGTA-FO, des masques aux poissonniers écaillers très tôt dans la pandémie. Grâce à cette action, des poissonneries ont pu maintenir leur activité et passer le cap.
Nous avons aussi travaillé sur la formation, pour mieux préparer les salariés à une reconversion ou les faire monter en compétence.
Par ailleurs, la problématique majeure de notre métier est l’attractivité auprès des jeunes. La crise Covid nous a permis de travailler différemment pour proposer un cadre plus attractif autour de ce métier passion. »
Didier Dorsy : « Le dialogue social est malheureusement compliqué chez SNV. Au niveau de nos propositions dans le cadre de la CSSCT pour limiter les risques sanitaires, rien n’a été retenu. Les employeurs ont manqué l’occasion de se servir des délégués syndicaux qui sont de véritables relais auprès des salariés. C’est seulement grâce au service juridique de la FGTA-FO, l’aide d’avocats ou de l’inspection du travail, que nous avons pu faire avancer les choses.
Cette crise aurait pu être mieux gérée. Économiquement, l’entreprise a réalisé des chiffres records. En retour, les salariés ont pu bénéficier de la prime PEPA. Est-ce suffisant pour développer l’attractivité de notre secteur ? Je ne le crois pas. FO reste un promoteur du dialogue social constructif pour produire des avancées sociales. »
Angélique Bruneau : « Nous avons eu une forte activité au service juridique durant la pandémie. Les nombreux décrets, arrêtés et ordonnances, parfois mal ficelés, ont constitué une masse d’information importante à analyser pour répondre aux questions des équipes. Nous avons établi des fiches synthétiques et fiables à cet effet. Nous avons aussi été en soutien pour échanger, discuter et soutenir les équipes sur un plan moral.
Sur les protocoles sanitaires, on a tous appris en marchant durant cette période inédite. Nous avons eu des situations hétérogènes à gérer, certaines directions ont profité de la limitation du rôle des IRP pour faire passer des protocoles sanitaires qui n’étaient pas à la hauteur, d’autres ont joué le jeu du dialogue social, d’autres ont bricolé comme elles le pouvaient, notamment dans les PME. Nous avons été aux côtés des équipes pour les accompagner partout où c’était nécessaire.
De nombreux accords d’APLD ont été négociés et signés en lien avec le service juridique afin de préserver l’activité et l’emploi.
Aujourd’hui, nous ne sommes pas sortis juridiquement de la période Covid. Des restrictions demeurent, sur le travail dominical, l’activité partielle, les salariés protégés, etc. J’espère que l’on retrouvera l’état antérieur du droit. »
Anna Notarianni : « Cette crise a été un énorme choc. Il a fallu en trois jours équiper les salariés pour qu’ils puissent travailler à domicile. Cette capacité d’agilité a été une vraie découverte. Notre mission de restauration est une mission vitale. Pour les activités qui ont été maintenues et au début des réouvertures de restaurants, nous avons organisé le travail des salariés de proximité pour assurer la continuité de l’activité. Nous avons vu une vraie solidarité entre salariés. C’est possible d’être centré sur l’essentiel, de faire preuve de solidarité et d’être dans la transversalité est une véritable leçon positive que je retiens de cette crise.
Dans notre secteur, nous avons un déficit d’attractivité et tous les retours positifs de nos clients nous ont confortés dans la fierté que nous ressentons envers nos métiers.
Le rapport au travail et aux priorités est désormais différent.
Gérer la crise est une chose, gérer la sortie de crise en est une autre. Il a fallu anticiper pour éviter l’essoufflement des équipes. On a perdu beaucoup d’activité. Cette adaptation à ce contexte s’est faite grâce à un travail de formation sur le travail collaboratif et le leadership empathique. Sans dialogue social pragmatique et ouvert, on n’aurait pas réussi à surmonter une crise aussi inédite. »
Nathalie Devienne : « Casino s’est adapté rapidement au protocole sanitaire édicté par le gouvernement : les protections, la circulation des clients, le suivi des cas covid, le télétravail, la fermeture de rayons non alimentaires, etc. Il a fallu tout assimiler et veiller à la protection des salariés que l’on représente.
Avant la crise Covid, Casino a développé un service « mon conseiller social en ligne » pour accompagner les salariés qui rencontrent des difficultés. Ce dispositif a été beaucoup utilisé pendant la période de pandémie. Tous nos élus ont été suivis par le SNTA FO, du lundi au dimanche, pour les accompagner et les soutenir. Ça a été dur pour nous, délégués nationaux, constamment sollicités, mais s’impliquer pour les délégués et les salariés est notre raison d’être.
La charge de travail s’est aussi amplifiée pour les salariés du fait des cas Covid ou de l’augmentation de la clientèle dans certaines régions où les résidences secondaires sont nombreuses.
Tout ce travail de terrain a contribué à développer le lien social, et je pense qu’il en est resté quelque chose entre collègues. Cette écoute de la part du syndicat s’est d’ailleurs retrouvée à travers l’amélioration de notre représentativité aux élections. »
Laurent Marembaud : « L’engament a été celui de l’industrie agroalimentaire mais aussi de la filière, de la fourche à la fourchette, au service d’une mission : nourrir nos concitoyens. Si l’on doit trouver du positif dans cette crise, c’est la capacité à aller au-delà de nos principes habituels de fonctionnement pour agir rapidement. Le dialogue social constant pour ajuster nos dispositifs a été un véritable outil pour assurer la continuité de notre activité.
Pour moi, cette crise aurait dû nous permettre d’améliorer notre activité mais cela n’a pas été le cas. La transmission des savoirs et l’attractivité, surtout par le salaire, sont des enjeux structurels auxquelles nous devons répondre au plus vite. C’est la clef de notre futur. Si nous n’y répondons pas, la conséquence sera l’automatisation avec un vrai impact sur l’emploi, ou la baisse de la qualité de notre production avec les risques que cela comporte. »
Philippe Faucon : « La structure de la FNSEA est extrêmement décentralisée. Pour faire passer des messages dans le contexte du Covid, la technologie nous a aidés mais rien ne remplace le contact direct. Le Covid nous a rappelé le besoin simple de parler. L’engagement social par la relation humaine est la base de tout.
La planète est déstabilisée par la crise climatique et le changement des rapports de force géopolitiques. Cette crise du Covid est peut-être la première d’une longue série. Le réchauffement climatique apporte des maladies auxquelles nous échappions. Il va falloir intégrer tout cela dans nos comportements malgré les craintes.
Un des bons côtés de la crise est que les consommateurs se sont rappelé qu’ils avaient près de chez eux des producteurs locaux. Ce rapport de proximité doit persister. Il faut rétablir le sens entre l’acte de production et l’acte de consommation.
Pour l’avenir, il faut se questionner sur nos jeunes pour les faire rester dans la profession. Ils sont collectifs, en recherche de sens, c’est un vrai sujet que nous devons nous approprier. »
Stéphane Riffault : « Ce n’est qu’au confinement que l’on a pris conscience de la gravité de la situation et de ses conséquences. La mise en place du protocole sanitaire a été rapide avec les moyens de Nestlé. La vraie problématique est comment on continue à travailler maintenant. Nos volumes ont considérablement augmenté puisque de plus petites entreprises ont fermé. Comment fait-on pour s’approvisionner et répondre aux commandes pour ne pas perdre les contrats ? Comment fait-on pour trouver la main-d’œuvre nécessaire et qualifiée ?
Durant la crise, le nombre de cas Covid a posé de vrais problèmes de savoir-faire pour sortir la production avec des intérimaires ou moins de personnels dans un contexte de forte inquiétude pour la santé.
Ce qui n’a pas changé avec la crise, c’est que nous sommes toujours dans la course au profit sans prendre la mesure de l’ensemble des impacts pour les salariés et la filière. »
Propos recueillis par Alexandre Rault
Photos : Jonathan Morel