TJ Paris, 30 mars 2021 : n° 20/09805
Après celui de Nanterre le 10 mars dernier, le tribunal judiciaire de Paris se prononce sur la question de l’octroi des titres-restaurant aux télétravailleurs. Ceux-ci y ont droit pour chaque jour travaillé durant lequel le repas est compris dans leur horaire de travail journalier.
Principe : les télétravailleurs bénéficient des mêmes droits et avantages légaux et conventionnels que ceux applicables aux salariés en situation comparable travaillant dans les locaux de l’entreprise. Il s’agit d’une règle d’ordre public rappelée par l’article 4 de l’accord national interprofessionnel du 19 juillet 2005 relatif au télétravail et reprise dans le code du travail à l’article L 1222-9.
En l’espèce :
Des salariés d’une société bénéficiant de titres-restaurant format papier et placés en télétravail à compter du 17 mars 2020 en raison de la crise sanitaire liée à l’épidémie de Covid-19 sont informés par leur employeur de sa décision de réserver l’attribution de ces titres aux seuls employés travaillant sur site.
Lors d’une réunion ordinaire, le CSE informe la société de son désaccord avec cette position qui méconnaîtrait l’égalité de traitement entre les salariés.
Face au refus de l’employeur de revenir sur celle-ci, il saisit, avec un syndicat, le tribunal judiciaire afin notamment que soit attribué aux salariés en télétravail un titre-restaurant pour chaque jour travaillé depuis le 17 mars 2020.
Le titre-restaurant est un titre spécial de paiement remis par l’employeur aux salariés pour leur permettre d’acquitter en tout ou en partie le prix du repas consommé au restaurant ou acheté auprès d’une personne ou d’un organisme exerçant la profession de restaurateur, d’hôtelier-restaurateur ou une activité assimilée, ou la profession de détaillant en fruits et légumes. Ce repas peut être composé de fruits et légumes, qu’ils soient ou non directement consommables (Article L 3262-1). Un même salarié ne peut recevoir qu’un titre-restaurant par repas compris dans son horaire de travail journalier (Article R 3262-7).
Cet avantage consenti par l’employeur ne résulte d’aucune obligation légale (Questions – Réponses du ministère du travail du 25 mars 2021). Il n’est donc pas interdit de subordonner son attribution à certains critères sous réserve qu’ils soient objectifs, c’est-à-dire qu’ils doivent s’appliquer autant aux télétravailleurs qu’aux salariés travaillant dans l’entreprise. Il a ainsi été jugé que l’employeur peut différencier l’attribution des titres-repas en fonction de l’éloignement du travail par rapport au domicile, dès lors que cette différenciation est fondée sur un critère objectif, c’est-à-dire la distance séparant le lieu du travail du domicile (Cass. Soc., 22 janvier 1992 : n° 88-40.938 ; CA Nîmes, 27 mars 2012 : n° 10-4144).
À l’appui de sa défense, et afin d’établir que les télétravailleurs sont dans une situation différente de celle des salariés sur site, la société fait valoir que le titre-restaurant a pour objectif de permettre au salarié de se restaurer lorsqu’il ne dispose pas d’un espace pour préparer ses repas, ce qui s’accorde peu avec le télétravailleur qui dispose de sa cuisine personnelle et n’a donc pas à se limiter à des plats immédiatement consommables. En outre, si celui-ci choisit de ne pas travailler depuis son domicile, mais depuis un autre lieu, comme un espace de coworking, cela ne résulte que de ses convenances personnelles et ne lui crée aucun droit vis-à-vis de son employeur.
D’autre part, selon la société, la réglementation et les conditions d’utilisation des titres-restaurant ne sont pas compatibles avec la situation du télétravailleur puisque le salarié ne peut pas utiliser un titre-restaurant pour acheter autre chose qu’un repas en restaurant ou directement consommable, même s’il doit être décongelé, ou des fruits et légumes, même non directement consommables, ce qui exclut que le salarié s’en serve pour financer ses courses de la semaine.
Après avoir rappelé le principe d’égalité de traitement entre les travailleurs posé par l’article L 1222-9 du code du travail qui régit le recours volontaire des salariés au télétravail et ajouté que celui-ci ne s’oppose pas à ce que soient réglées de façon différente des situations différentes, pourvu que la différence de traitement en résultant soit en rapport avec l’objet de la règle qui l’établit, le tribunal judiciaire considère que la société ne justifie pas de ce que les télétravailleurs se trouvent dans une situation distincte de celle des salariés sur site en raison, notamment, des conditions d’exercice de leurs fonctions, de sorte que le refus de leur attribuer des titres-restaurant ne repose sur aucune raison objective en rapport avec l’objet de ces titres.
En effet, selon lui, la définition du télétravail posée à l’article L 1222-9 du code du travail n’implique pas pour le salarié de se trouver à son domicile ni de disposer d’un espace personnel pour préparer son repas.
En outre, il déduit directement des dispositions des articles L 3262-1 et R 3262-7 du code du travail que l’objet du titre-restaurant est de permettre au salarié de se restaurer lorsqu’il accomplit son horaire de travail journalier comprenant un repas, mais non sous condition qu’il ne dispose pas d’un espace personnel pour préparer celui-ci.
Enfin, les conditions d’utilisation des titres-restaurant sont, pour les juges du fond, tout à fait compatibles avec l’exécution des fonctions en télétravail puisqu’elles ont pour principe directeur de permettre au salarié de se restaurer lorsque son temps de travail comprend un repas, et qu’à ce titre les télétravailleurs se trouvent dans une situation équivalente à celle des salariés sur site.
Au vu de l’ensemble de ces éléments, le tribunal judiciaire estime que les salariés en télétravail doivent bénéficier des titres-restaurant pour chaque jour travaillé au cours duquel le repas est compris dans leur horaire de travail journalier. Il fait donc droit, sous astreinte, à la demande de régularisation de leurs droits à ce titre, mais seulement à compter du 6 octobre 2020, date de l’assignation en justice puisque la régularisation ne peut pas rétroagir au-delà de la demande en justice.
Remarque : la solution retenue par le tribunal judiciaire est conforme à la position exprimée par le ministère du travail sur son site internet dans le cadre de son Questions-réponses relatif au télétravail en période de Covid-19 non seulement dans sa version du 20 mars 2020, comme le rappelle le jugement du tribunal lui-même, mais également dans sa version actuelle du 25 mars 2021. Le ministère considère en effet que, dès lors que les salariés exerçant leur activité dans les locaux de l’entreprise bénéficient des titres-restaurant, les télétravailleurs doivent aussi en recevoir si leurs conditions de travail sont équivalentes. Elle rejoint également la position exprimée par les Urssaf sur leur site internet le 8 septembre 2015.
A savoir : après celui de Nanterre le 10 mars dernier, le tribunal judiciaire de Paris se prononce sur la question de l’octroi des titres-restaurant aux télétravailleurs. Ceux-ci y ont droit pour chaque jour travaillé durant lequel le repas est compris dans leur horaire de travail journalier.