Au prix d’une grève de cinq jours fin décembre, à l’appel notamment de FO majoritaire, les salariés de l’usine Depierre de Wisches (Bas-Rhin) ont mis en lumière la déloyauté du groupe Labeyrie Fine Foods dans les négociations PSE. Interpellé par l’administration du Travail pour manquements graves à la procédure, le groupe la reprend à zéro. C’est la deuxième fois depuis l’annonce de la fermeture de l’établissement il y a un an et demi que le groupe agro-alimentaire est pris en défaut.
Pour les 83 salariés de l’usine Delpierre de Wisches (Bas-Rhin), qui afin d’alerter sur leur situation ont terminé l’année 2020 par une grève de cinq jours, à l’appel notamment de FO (majoritaire), 2021 a débuté par une date mémorable. Un an et demi après l’annonce de la fermeture de l’établissement, le groupe Labeyrie Fine Foods (1 milliard d’euros de chiffre d’affaires annuel), qui en est le propriétaire via sa filiale Delpierre, reprend à zéro la procédure du Plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) ! Jeudi 7 janvier, devant le comité social et économique central à Paris, il a enfin présenté son projet de PSE, comme le code du travail en fait l’obligation à toute entreprise déclenchant un plan social. Depuis qu’il avait lancé la procédure consultative, le 16 novembre dernier, il n’avait fait aucune proposition.
La grève, pour construire un nouveau rapport de force
La direction demandait aux représentants du personnel de décider du contenu du plan social, alors que nous sommes contre la fermeture de l’usine
, rappelle Marc Large, délégué syndical central de FO, majoritaire à la fois dans l’établissement et dans la société Delpierre. Autant demander aux représentants du personnel de fabriquer leur propre cercueil, en remplissant les cases du PSE
, a dénoncé, dans un communiqué, l’intersyndicale comptant deux syndicats dont FO.
Concernant les moyens mis dans le PSE, l’interlocuteur des syndicats prétendait qu’ils seraient proportionnés à ceux de la filiale Delpierre, et non du groupe Labeyrie Fine Foods
, précise Marc Large.
L’intersyndicale a aussitôt saisi l’administration régionale du Travail pour procédure viciée d’information-consultation. Pour sortir de l’impasse, toujours entière un mois plus tard, la grève des salariés, du 14 au 18 décembre, assortie du blocage de 50.000 tonnes de saumon dans les frigos de l’entreprise, a été déterminante. Le blocage du site, stratégique en période de fête, est le point de départ de la construction d’un nouveau rapport de force, qui doit obliger la direction à revoir sa copie
, expliquait dans un communiqué la fédération FGTA-FO, mobilisée de longue date auprès du syndicat FO, comme l’Union départementale FO du Bas-Rhin.
Manquements graves à la procédure
La victoire syndicale est complète et martèle le délégué FO sans la mobilisation des salariés, qui ont tous participé à la grève, les cinquante intérimaires compris, rien n’aurait bougé
.
Le groupe agro-alimentaire, qui a d’abord envoyé les forces de l’ordre, pour faire sortir les grévistes de l’enceinte de l’usine, et des camions, pour récupérer la marchandise, a reconsidéré sa position. Mais, pour cela, il aura fallu cinq jours de grève et la pression conjuguée des médias, des élus locaux et, surtout, de l’administration régionale du travail qui l’a interpellé pour manquements graves à la procédure
en matière de licenciements collectifs pour motif économique.
Deuxième rappel au respect du droit pour Labeyrie
La victoire est d’autant plus éclatante qu’elle clôt un an et demi d’incertitudes et d’avanies subies pour les salariés. Depuis l’annonce de la fermeture de l’usine, le groupe Labeyrie Fine Foods a joué, en toute immoralité, avec les frontières de la légalité, pour éviter de mettre en œuvre de véritables mesures d’accompagnement
, résume Marc Large, délégué syndical central FO.
Annoncé en juin 2019, le transfert de l’activité du site dans l’Ouest de la France (vers les sites de Fécamp, en Seine-Maritime, et de Saint-Geours-de-Maremne dans les Landes) a été justifié par la baisse des ventes et la concurrence étrangère. Cependant, au lieu d’un PSE, le groupe a proposé un accord de performance collective (APC), absolument non opérant pour les fermetures de site, pour se séparer des salariés à moindre coût
, dénonce la FGTA-FO.
Avec le syndicat FO, la fédération a bloqué la procédure en saisissant le ministère du Travail. Son verdict est tombé fin août 2019 : il a logiquement imposé la mise en place d’un PSE, avec les mesures d’accompagnement que celui-ci induit.
Des effectifs déjà réduits de 38%
Du fait de la crise sanitaire, l’ouverture de la procédure PSE a été différée, jusqu’à novembre 2020. Reste que, dans l’intervalle, les effectifs ont fondu de 38%, passant de 133 à 83 salariés. Le groupe a fait partir les salariés par des moyens malheureusement légaux, notamment des ruptures conventionnelles individuelles
, indique Marc Large.
S’ajoutant à l’incertitude, la situation de sous-effectif croissant n’a pas été sans conséquence physique et psychologique pour les salariés restant. Au point que le CSE, après plusieurs alertes à la direction, a lancé à l’été 2020 une expertise sur les risques psycho-sociaux (RPS), dont la direction a même contesté, sans succès, le bien-fondé en justice. L’expertise a repris le 21 décembre.
Les salariés retrouvent l’espoir de partir dans des conditions dignes
Dans ce contexte, le redémarrage à zéro de la procédure PSE signe bien plus que la fin d’une incertitude de 18 longs mois. Les salariés retrouvent l’espoir de partir dans des conditions dignes, et non plus au strict minimum légal
, appuie Marc Large.
L’administration du Travail a été très claire : les moyens mis dans le PSE devront être proportionnés à ceux du groupe Labeyrie Fine Foods, et non à ceux de sa filiale Delpierre.
FO maintient ses revendications
Pour le délégué syndical central FO, tout ceci, pourtant, n’est qu’un premier combat gagné
. Marc Large, qui n’entend pas relâcher la pression, est déjà tourné vers les négociations PSE. Il maintient toutes les revendications FO, à commencer par un congé de reclassement d’une durée d’un an et des moyens en formation
. Il souligne ainsi que les salariés, des opérateurs pour la plupart, avec une ancienneté supérieure à 15 ans, ont un important besoin en formation pour retrouver des perspectives professionnelles dans la région où les emplois industriels sont rares
.
Le syndicat demande également une indemnité supra-légale. Et depuis décembre, une nouvelle revendication s’est ajoutée : le paiement des cinq jours de grève. Ce serait un bon préalable avant l’ouverture des négociations PSE. La direction montrerait ainsi qu’elle prend, pour une fois, les salariés en considération. Ils n’ont fait grève que pour être entendus et restaurés dans leurs droits
, souligne Marc Large.