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Tic-tac, la transparence salariale arrive ! Êtes-vous prêt ?

Le sujet de la transparence des salaires s’invite peu à peu dans les discussions RH et managériales. Pourtant, malgré une directive européenne adoptée en mai 2023 – et dont la transposition en droit français doit se faire d’ici juin 2026 – une grande partie des entreprises hexagonales n’ont pas encore pris la mesure de l’ampleur du changement. Pour Sandrine Dorbes, spécialiste des politiques de rémunération, il est urgent de s’y mettre.

Est-ce que l’on fait trop – ou pas assez – avec cette directive ?

Sandrine Dorbes : On pourrait croire que des experts comme moi, qui accompagnent les entreprises sur le sujet, ont intérêt à grossir le trait. Mais ce n’est pas une affaire de “prêcher pour sa paroisse”.

La directive demande des choses très concrètes : clarifier la politique de rémunération, formaliser un système de classification, être capable de répondre aux questions des salariés, fournir des données, communiquer davantage.

Quand on met tout cela bout à bout, la conclusion est claire : nous ne sommes pas en avance, mais très en retard. Ce n’est pas qu’on en fait trop, c’est qu’on n’a pas encore commencé à réaliser ce qui est attendu.

“Nous ne sommes ni les meilleurs, ni les plus mauvais élèves”

Est-ce que la France fait partie des pays qui vont le plus trimer à appliquer la directive ?

Sandrine Dorbes : Pour une fois, non. Nous ne sommes ni les meilleurs, ni les plus mauvais élèves. Nous ne sommes pas les seuls à être bloqués culturellement sur l’argent comme certains le disent. Il n’y a donc aucune raison pour que nous n’y arrivions pas.

Et surtout, cette directive n’a rien d’un “délire de wokiste”. Elle n’est pas tombée du ciel : elle arrive après des années de législations européennes sur l’égalité salariale, et après des lois françaises comme l’Index égalité professionnelle. Or, malgré ces dispositifs, les résultats sont limités : près de 15 % d’écart salarial entre les femmes et les hommes en France, 13 % au niveau de l’Union.

Le constat est simple : les règles existantes étaient trop faibles, trop formelles, et la charge de la preuve reposait toujours sur les salariés. Résultat : peu de recours, peu de changements. La directive européenne 2023/970 change la donne : elle veut rendre l’égalité démontrable, pas seulement proclamée.

Qu’est-ce qui vous fait dire que nous sommes en retard ?

Sandrine Dorbes : Parce qu’on s’y est mis tard, tout simplement. La directive a été votée en mai 2023. Et pourtant, deux ans plus tard, quand j’ai commencé à écrire un livre sur la transparence, je me suis rendu compte que la plupart des entreprises françaises n’en avaient pas pris conscience.

Je le vois tous les jours : on balaie le sujet d’un revers de main. Dès qu’une rumeur circule – comme récemment sur un éventuel report de calendrier – beaucoup se précipitent dessus pour dire : “Ah tu vois, on va attendre, ce n’est pas pour tout de suite.” C’est un réflexe de déni. Mais il faut être clair : oui, la directive va s’appliquer. Et bientôt.

Depuis juin 2025, je commence enfin à être sollicitée uniquement pour ce thème. Mais ce n’est pas encore le raz-de-marée qu’on devrait voir débarquer.

“La rémunération n’est que la partie visible de l’iceberg”

Concrètement, que change cette directive pour les entreprises ?

Sandrine Dorbes : Il faut vulgariser, parce que la rémunération n’est que la partie visible de l’iceberg. Voici les huit grands volets à retenir :

1️⃣ Recrutement transparent : les offres d’emploi devront indiquer la fourchette de salaire et les critères objectifs d’évolution.

2️⃣ Interdiction de demander les antécédents salariaux : fini les questions sur la rémunération actuelle d’un candidat.

3️⃣ Droit à l’information : en poste, chaque salarié pourra demander des explications sur son positionnement, la justification d’une prime ou d’une augmentation, et la moyenne des salaires pour un poste équivalent.

4️⃣ Rappel annuel du droit à l’information : chaque année, l’entreprise devra informer ses collaborateurs qu’ils peuvent accéder à ces données.

5️⃣ Reporting obligatoire : à partir de 50 salariés, il faudra produire un reporting standardisé (écarts moyens et médians, bonus, proportion de femmes et d’hommes par quartile, etc.).

6️⃣ Seuil de 5% : tout écart de rémunération supérieur à 5% à poste équivalent devra être justifié et, le cas échéant, corrigé en concertation avec les représentants du personnel.

7️⃣ Fin du secret salarial : les clauses ou pressions empêchant les salariés de parler de leur rémunération seront interdites.

8️⃣ Inversion de la charge de la preuve : en cas de litige, c’est à l’employeur de démontrer qu’il n’y a pas de discrimination, et non au salarié d’en apporter la preuve.

À cela s’ajoutent des sanctions : amendes financières, sanctions administratives graduées, exclusion possible des marchés publics. Bref, des conséquences réelles et coûteuses.

Que recommandez-vous aux entreprises pour démarrer ?

Sandrine Dorbes : La première étape, c’est de regarder où sont les manques. Certaines entreprises n’ont pas défini de postes équivalents, d’autres ne disposent pas de reporting fiable, d’autres encore n’ont jamais communiqué leur politique de rémunération.

Je conseille toujours de commencer par tester un reporting, même imparfait. C’est le meilleur moyen de voir où ça bloque, d’identifier les points faibles et de préparer les managers et les RH. Ce n’est pas la perfection qui est attendue immédiatement. Ce qui compte, c’est de montrer qu’on a commencé à avancer.

“C’est aussi une question de culture managériale”

Est-ce qu’il n’est pas déjà trop tard ?

Sandrine Dorbes : Non. D’abord, parce qu’il est toujours possible d’agir hors des campagnes annuelles de révision salariale. Ensuite, parce que tout ne repose pas sur les augmentations. Il faut arbitrer entre réduction des écarts et reconnaissance de la performance.

Le calendrier est néanmoins serré :

  • le projet de loi français doit être présenté et adopté d’ici fin 2025,
  • avec des textes d’application début 2026.

Cela laisse peu de temps pour se préparer. Les entreprises qui attendront 2027 pour s’y mettre seront vraiment très en retard : c’est maintenant que ça se joue.

Cela concerne uniquement la fonction RH ?

Sandrine Dorbes : Non. Le “comp & ben” (salaires et avantages salariaux, ndlr) va piloter la politique de rémunération et produire les reportings. Mais il ne peut pas tout faire. La classification des métiers, l’évaluation des performances, la communication, l’accompagnement des managers… tout cela relève d’un effort collectif.

C’est aussi une question de culture managériale. Exemple très concret : comment expliquer à un junior qu’il gagne moins qu’un senior alors qu’ils font le même job ? En assumant que l’ancienneté ou l’expérience sont reconnues dans la rémunération. Mais il faut oser le dire, le justifier, et que ce soit compris. En ce sens, la transparence n’est pas qu’une affaire d’argent. C’est aussi une affaire de confiance, de dialogue et de marque employeur.

Il faut arrêter de se trouver des excuses et d’attendre un miracle qui ne viendra pas. Même les entreprises qui avancent à petits pas seront plus crédibles que celles qui n’auront rien fait.

La directive sur la transparence salariale, ce n’est pas une contrainte de plus : c’est une opportunité de clarifier, de structurer et de créer de la confiance. Anticiper coûte toujours moins cher que de corriger.