Retrouvez le dossier du FGTA-FO Magazine n°123
France, pays des paradoxes ? Si le taux de chômage a nettement diminué ces dernières années (7,3 % au deuxième trimestre 2022, contre 10,5 % en 2015), le pays compte encore actuellement 5 152 000 personnes inscrites à Pôle Emploi (près de 3 millions en catégories A – sans emploi -, les autres en catégories B et C – activité réduite).
D’un autre côté, d‘après les derniers chiffres de la Dares (Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques), le nombre d’emplois vacants en France (c’est-à-dire le nombre de postes libres pour lesquels des démarches actives sont entreprises pour trouver le candidat convenable) s’élevait à 368 100 au 1er trimestre 2022, soit une hausse de 75 % par rapport au 4e trimestre 2019. En juin, 58 % des entreprises interrogées étaient concernées par le sujet, selon la Banque de France. Il y a un an, le niveau était à 37 %.
Alors la question pourrait se poser : Pourquoi les demandeurs d’emploi ne se précipitent-ils pas sur ces postes à pourvoir ? Question simple… Mais réponse complexe. Car les raisons sont multiples, cumulatives… à la fois socio-économiques, psychologiques et conjoncturelles.
- Pour rapprocher les deux problématiques (chômage important d’une part et manque de main-d’œuvre d’autre part), il faudrait d’abord que les chômeurs et les postes se trouvent dans le même environnement, un lieu proche, une même région… C’est rarement le cas : les demandeurs d’emploi sont disséminés dans toute la France et la grande majorité des postes à pourvoir (environ 80 %) sont localisés dans les grandes métropoles urbaines.
- Il faudrait surtout que les métiers proposés soient attractifs en termes de salaires et de conditions de travail. Dans leur rapport, la Dares et Pôle emploi identifiaient alors deux causes majeures: la précarité de l’emploi et les conditions de travail. Effectivement, les secteurs où la main-d’œuvre vient à manquer sont essentiellement composés de métiers peu attractifs : car ce sont souvent les conditions de travail qui découragent les demandeurs d’emploi :
- La pénibilité des tâches : port de charges lourdes, bruit, travail répétitif, postures pénibles, exposition à des agents chimiques.
- Les difficultés psychosociales : travail dans l’urgence, tensions avec la hiérarchie, la clientèle, les collègues…
- Les contraintes horaires : heures de travail changeantes, coupures importantes, travail de nuit, travail le week-end…
- La politique salariale de l’employeur et la gestion des ressources humaines : négociations difficiles ou bloquées, management tyrannique, environnement dégradé, sans oublier l’image globale de l’entreprise…
- Il faudrait aussi que ces métiers soient assez pérennes pour justifier un déménagement, qu’ils soient compatibles avec les nécessités familiales. Il faudrait également tenir compte des qualifications, de l’antériorité dans les métiers, de la formation… Tout métier s’acquiert, et cela prend des mois ou des années !
- Un autre critère entre en ligne de compte : environ un million d’emplois ont été créés et pourvus depuis 2019, or le nombre d’actifs, en poste ou en recherche d’emploi est resté stable en France depuis 2017, avec pour conséquence un manque de réserve de main-d’œuvre. L’immigration économique serait-elle une solution ? Pas dans les faits : la grande majorité des immigrés récents ne sont pas « employables » à court terme, et les employeurs traînent des pieds, invoquant des problèmes de langue ou de formation. Des tentatives ont eu lieu cet été, avec notamment la mise en place dans l’hôtellerie restauration d’une campagne de recrutement de travailleurs saisonniers en Tunisie via une plateforme créée par la profession, HCR Emploi. Mais la solution migratoire et le travail détaché utilisés dans certains secteurs posent la question du dumping social et des conditions d’accueil.
La « Grande démission » : les jeunes en quête de bien-être au travail
- On peut aussi déceler une autre raison à cette grande pénurie de main-d’œuvre : ce qu’on appelle la « quête de sens ». La crise sanitaire a joué un rôle moteur dans la « Grande démission », réalité majeure outre-Atlantique et en phase ascendante chez nous. Un nombre élevé de travailleurs ont choisi une réorientation radicale, quittant des métiers pénibles et mal rémunérés. Fin 2021 et début 2022, le nombre de démissions a atteint un niveau historiquement haut : 520 000 par trimestre, dont 470 000 démissions de CDI (Dares).
Selon un sondage de l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail, 43 % des actifs envisagent de quitter leur emploi dans les deux ans pour un travail qui a plus de sens.
Ce phénomène touche principalement les jeunes actifs. Pour eux, le salaire n’est plus la motivation principale, leur priorité serait plutôt le bien-être au travail.
Où sont passés ces salariés ? Après avoir démissionné, ils ont pour la plupart retrouvé des emplois plus conformes à leurs aspirations… dans la grande distribution, la logistique, ou d’autres univers professionnels plus en phase avec leur vision de la société et du travail. Les chiffres sont parlants : le nombre de moins de 25 ans en recherche d’emploi a baissé de 22,8 % depuis un an ! Et l’on a vu que les emplois salariés ne sont pas pour eux le seul vivier professionnel : nombreux sont ceux qui ont choisi de se lancer, de se mettre à leur compte en « free-lance », comme autoentrepreneurs, de créer une entreprise ou une activité qui « matche » avec leurs valeurs, leurs aspirations…
- Autres causes qui expliquent l’explosion du nombre d’emplois vacants :
- L’inadéquation entre les formations proposées et les besoins réels du marché du travail
- Le nombre important de départs à la retraite (800 000 par an)
- La forte augmentation du coût du carburant qui, dans les zones rurales, rend souvent l’emploi moins « payant » que le chômage.
Et c’est sans doute pourquoi, dans les entreprises, face à l’ensemble de ces problématiques de pénurie, le rapport de force entre employeurs et postulants a tendance à changer. Bien souvent désormais, ce sont les jeunes en recherche d’emploi qui réussissent à imposer leurs conditions aux recruteurs, exigeant notamment un équilibre entre la vie professionnelle et la vie personnelle et familiale. « C’est à prendre ou à laisser, vous n’êtes pas la seule entreprise à embaucher sur le marché et dans la région ! » Une injonction inimaginable il y a à peine deux ans.
Développer l’attractivité des métiers
Les difficultés de recrutement que connaissent les entreprises ont largement animé les débats politiques et médiatiques de l’été. La FGTA-FO, qui déplore le manque d’avancées pour l’amélioration des garanties et des salaires lors des négociations en branche professionnelle depuis de nombreuses années, n’a eu de cesse d’avertir les délégations employeurs : « Si vous voulez les bonnes réponses à vos problèmes de recrutement, posez-vous les bonnes questions ». L’amélioration du statut des salariés est la clé de voûte de la pérennité des secteurs professionnels.
Lors des débats à l’Assemblée nationale, plusieurs députés, dont des élus de la majorité, ont avancé le fait qu’augmenter les salaires allait créer une spirale inflationniste qui, in fine, serait néfaste pour le pouvoir d’achat des salariés. À l’heure où les ménages souffrent déjà d’une inflation record, cette politique de l’offre n’apporte aucune solution concrète à la pénurie de main-d’œuvre qui est aujourd’hui le principal frein à la croissance en France alors que le chômage demeure élevé. Aussi, dans un contexte où les profits sont largement redistribués sous forme de dividendes (et où le taux d’investissement ne suit pas), la Banque de France n’observe aucune spirale prix-salaires malgré une hausse des rémunérations (âprement négociée), et annonce que l’inflation devrait revenir à un niveau moins élevé en 2024. Il est temps pour les employeurs et l’État de prêter une oreille attentive aux revendications de notre Fédération afin de développer l’attractivité des métiers.
Selon le gouvernement, pour atteindre le plein-emploi, la solution serait de valoriser le travail en durcissant les conditions d’accès aux aides sociales, comme l’illustre notamment la réforme de l’Assurance chômage (il faut par exemple avoir travaillé six mois au cours des 24 derniers mois, et non plus quatre, pour ouvrir des droits à une allocation-chômage) ou bien encore le projet de conditionnement de l’obtention du RSA à l’obligation de consacrer 15 à 20 heures par semaine à une activité. La FGTA-FO et la Confédération FO dénoncent ces politiques, qui visent à faire des économies sur le dos des demandeurs d’emploi et créent de la précarité.
Pour la FGTA-FO, il faut valoriser le travail et non dévaloriser les chômeurs. Il est nécessaire d’être à l’écoute des attentes et des besoins des salariés pour développer l’attractivité des métiers et assurer la pérennité des secteurs professionnels.
Le FGTA-FO Magazine a interrogé les membres du Bureau fédéral pour recueillir leurs constats sur la crise du recrutement dans les branches dont ils ont la charge, et les pistes qu’ils envisagent pour y remédier.
La parole aux secrétaires fédéraux
Pénurie de main-d’œuvre : la situation dans les secteurs de la FGTA-FO
Nabil Azzouz – HCR
« Dans la branche de l’hôtellerie-restauration, c’est la première fois que la situation est aussi tendue… Ceux qui ont travaillé cet été ont tiré sur la corde. La surcharge de travail a explosé et certains ont dû faire un métier qui n’était pas le leur. Certains employeurs « conservateurs » n’ont pas su s’adapter aux nouvelles attentes des salariés. Les jeunes veulent pouvoir garder du lien social, avoir un week-end libre par mois par exemple. La crise du Covid et les confinements ont fait office de « détonateur ».
Si les négociations sont difficiles en matière de salaire, elles sont quasi inexistantes sur les conditions de travail. Nous souhaitons par exemple réduire les coupures et obtenir des compensations financières systématiques, position que le patronat ne partage pas.
Par ailleurs, le récent revirement des organisations patronales sur l’accord relatif au remboursement des frais de santé est un non-sens qui prive les salariés de garanties solides, nuit à leur pouvoir d’achat, et donc à l’attractivité.
La pénurie de saisonniers dans l’hôtellerie-restauration se chiffre en dizaines de milliers. Ce n’est pas une surprise pour FO : le secteur a vu fuir 237 000 salariés pendant la crise et compterait 100 000 professionnels manquants. La FGTA-FO a établi et transmis aux interlocuteurs sociaux sa liste de revendications en faveur des saisonniers avec, notamment, la reconduction tacite des contrats et une meilleure reconnaissance des compétences et positionnement dans la grille de classifications au fil des saisons.
Les extras ont été nombreux à changer de métier avec la crise sanitaire. La réforme de l’Assurance chômage les plonge un peu plus dans la précarité. La FGTA-FO revendique l’ouverture d’une réelle négociation de branche sur les contrats des extras avec une vraie couverture santé, la reconnaissance de l’ancienneté et l’abrogation de la réforme de l’Assurance chômage. »
Angélique Bruneau – Grande distribution et commerce de gros
« Dans le commerce de gros, il y a beaucoup de débauchages de salariés qui ont des compétences techniques et les entreprises qui subissent cette loi de l’offre et de la demande peinent à recruter des salariés formés. Il faut travailler à conserver les plus anciens et encourager le transfert des savoir-faire aux plus jeunes.
Dans la grande distribution, nous connaissons des difficultés importantes avec l’extension des accords. Aujourd’hui, c’est la grille de salaires négociée en 2021 qui est applicable, avec plusieurs niveaux en dessous du Smic. D’un côté, la loi sur le pouvoir d’achat menace de fusion les branches professionnelles qui tardent à ajuster leur grille de rémunération pour tenir compte de l’évolution du Smic, et de l’autre, lorsque l’on parvient à trouver un accord, les extensions prennent beaucoup trop de temps. Les salariés perdent donc du pouvoir d’achat et l’image du secteur s’en ressent auprès des jeunes. »
Christian Crétier – Agroalimentaire
« La pénurie de main-d’œuvre frappe l’ensemble des métiers des industries alimentaires diverses et de la boulangerie industrielle.
La raison principale de ce manque d’attractivité est bien sûr les salaires mais d’autres facteurs ont été identifiés.
Déjà, il faut conserver les salariés qui sont arrivés dans ces secteurs, souvent par défaut, à la suite d’une orientation par Pôle emploi ou les agences d’intérim. Le manque d’accueil et de suivi des nouveaux salariés ne favorise pas leur intégration dans les entreprises et conduit à de trop nombreux départs.
La FGTA-FO travaille sur la création d’une charte de bonne conduite pour l’intégration des salariés : entretiens, formation, suivi, etc.
Par ailleurs, les jeunes n’envisagent même pas de chercher un emploi dans les industries. Cela ne fait plus partie de leur culture et de leurs centres d’intérêt et puis les contraintes sont nombreuses : horaires décalés, tenue de travail, températures, bruit des machines, poussière, etc.
Dans la boulangerie industrielle, nous sommes en période de test avec une association (Tous tes possibles) qui va chercher des personnes, notamment des quartiers défavorisés, qui sont motivées et qui ont des compétences, pour les mettre en lien avec les entreprises qui recrutent. L’idée devra plaire à l’ensemble des acteurs de la branche car ce projet visera à compléter les dispositifs de recherche d’emploi.
La formation est aussi importante, notamment auprès de populations trop souvent oubliées. Aussi, dans la boulangerie industrielle, nous proposons déjà des CQP vers les métiers du secteur dans les centres carcéraux par exemple et travaillons aujourd’hui avec l’IGAS. »
Nathalie Denis – Grande distribution
« Dans les entrepôts de la Supply Chain, la pénurie de préparateurs de commandes a été considérable cet été, avec de lourdes conséquences puisqu’il n’y avait pas assez de personnel par rapport aux volumes à traiter. Résultat : les salariés ont dû travailler 55 heures par semaine pendant deux semaines !
Un préparateur commence à 1 800 euros brut et peut percevoir une prime de productivité (qui ne s’obtient pas si facilement). Cela ne suffit pas pour attirer les jeunes, et ce pour plusieurs raisons :
- Travail physique avec des charges lourdes
- Travail le samedi, de nuit, ou très tôt le matin
- Travail dans le froid (températures négatives ou à peine supérieures à 0°)
L’automatisation ne suffit pas pour supprimer la pénibilité et les salariés sont usés. Comment se projeter dans une carrière de préparateur à plus de 60 ans ? Avec un vieillissement des effectifs, l’entreprise a de quoi être inquiète et les salariés aussi pour leur charge de travail. FO tente de trouver des solutions pour attirer le plus jeunes. Nous échangeons beaucoup avec les salariés et la direction dans la perspective d’un accord sur l’organisation du travail. L’idée serait de réduire le nombre de jours travaillés pour donner plus de jours de repos, mais cela aurait bien sûr pour effet d’augmenter le nombre d’heures par jour. Il faut donc trouver un équilibre entre ce qui peut convenir aux salariés, être économiquement viable pour la Direction, et qui pourrait attirer les plus jeunes. »
Michel Enguelz – Carrefour
« Le terme de pénurie de main-d’œuvre est mal adapté, je dirai plutôt que les salariés subissent une pénurie de métiers adaptés à leurs aspirations.
Dans les métiers de la logistique dits « sur la dalle » (préparateurs, caristes), Carrefour a du mal à conserver les salariés.
Sur les points de vente, la situation est différente puisque la direction de Carrefour a elle-même souhaité ralentir les embauches. Les emplois sont moins physiques mais plus précaires (horaires décalés, travail le week-end, temps partiels). Cela n’attire évidemment pas les salariés qui souhaitent concilier vie professionnelle et vie privée.
Dans les sièges, on constate que la crise sanitaire a habitué les cadres à avoir plus de temps pour eux. Ils y ont pris goût et hésitent davantage à s’engager sur le long terme dans l’entreprise. Certains refusent même des CDI.
Globalement, les salariés ont des attentes plus qualitatives qu’auparavant sur le métier qu’ils souhaitent exercer. Le salaire est toujours un critère important mais la pénibilité et les conditions de travail en général font l’objet d’une plus grande attention. Comme il y a plus d’offres d’emplois disponibles, à salaire égal, les salariés prennent le temps de vraiment rechercher le job qui va leur correspondre le mieux. »
Elsa Lacoffe – HCR
Dans l’hôtellerie de plein air, les entreprises ont vécu une saison très compliquée vis-à-vis du recrutement, notamment dans les métiers suivants : ménage, entretien, accueil, réception, et restauration. De plus, il y a eu de nombreux arrêts de travail (en dehors du Covid), des démissions en cours de contrat, des désistements sur les contrats d’embauche en dernière minute également.
Dans le secteur restauration (cafétérias qui englobent du HCR et point de ventes de restauration rapide), les grosses difficultés de recrutement ont eu pour conséquence une surcharge de travail pour le personnel restant. Ce manque d’attractivité a diverses origines :
- Le personnel doit être flexible et hyper polyvalent pour répondre aux ouvertures de points de ventes, ce qui a pour conséquence un épuisement des équipes, un gros « ras-le-bol » se fait sentir,
- Le rattrapage des grilles de salaires pour lutter contre l’inflation ne motive pas les recrutements. Les prochaines négociations de salaires ne seront pour autant pas faciles,
- La classification n’est plus « le levier » de motivation,
- La formation professionnelle est affichée comme étant un des outils d’intégration, mais c’est un leurre à mon sens, France Compétences ayant d’autres projets.
Malgré la mise en place de primes de cooptation (pour inciter les salariés à faire le recrutement à la place des RH…) des emplois restent vacants. Le manque de personnel a incité à modifier les horaires d’ouverture des restaurants avec des effets sur la conciliation entre vie privée et vie professionnelle. La FGTA-FO entend aborder ce point lors des prochaines négociations de branche. Pour modifier le « regard » sur les emplois du secteur, des accords QVT doivent être négociés prochainement. La FGTA-FO sera force de proposition.
La pénurie de main-d’œuvre en sortie de « crise sanitaire » marque une nette différence avec les années passées. Dans les futures négociations, les employeurs devront être à l’écoute des organisations syndicales pour intégrer ce changement dans les attentes des salariés (salaires, reconnaissance, intégration, participation, intéressement, motivation des équipes, respect des équipes, organisation). »
Didier Pieux – Agroalimentaire et artisanat
« Dans l’agroalimentaire, la pénurie de main-d’œuvre ne se limite pas à la question du pouvoir d’achat. Le côté humain du travail a trop longtemps été mis de côté, ce qui a conduit à une véritable défiance de la nouvelle génération envers les métiers de ce secteur. Les jeunes qui ont vu leurs parents travailler par défaut sur des postes pénibles et répétitifs, faire les 3/8, être payés au Smic et s’abîmer la santé, ont toutes les raisons de ne pas vouloir connaître la même trajectoire professionnelle.
Il faut développer l’automatisation pour supprimer les postes pénibles, et créer des emplois de qualité où les salariés sont acteurs et valorisés. L’automatisation permet, grâce aux gains de productivité, de traiter plus de volumes et donc à terme de créer de l’emploi. Sur le travail de nuit, le corps n’est pas fait pour cela, il faut arrêter.
Aujourd’hui, on fait venir des immigrés, souvent diplômés, pour les faire travailler sur ces postes car les Français n’en veulent plus. Ça ne contribue en rien à traiter la question du chômage, mais tant que l’État aura une politique d’allègement des cotisations sur les bas salaires, rien ne changera. Sur les postes qualifiés, lorsque les salariés partent, les entreprises connaissent de nombreuses difficultés pour retrouver les bons profils. Il y a un vrai problème de formation et de conservation des savoir-faire.
Dans l’artisanat, de plus en plus d’apprentis sont formés mais beaucoup ne restent pas dans les filières. Avec l’Observatoire des métiers, nous essayons de comprendre cette érosion des effectifs. Les jeunes souhaitent un vrai plan de carrière, avec des perspectives d’évolution pour avoir envie de rester.
Lorsque l’on travaille en 3/8 ou bien dans les métiers aux horaires décalés, on laisse sa vie privée de côté. La crise sanitaire a ouvert les yeux à de nombreux salariés qui ont remis en question leur projet professionnel. La conciliation vie privée-vie professionnelle doit être au cœur de la réflexion des employeurs pour retrouver de l’attractivité. »
Stéphanie Prat-Eymeric – Coiffure-esthétique et ESAP
« La pénurie de main-d’œuvre dans la coiffure n’est pas nouvelle, mais elle s’est accentuée avec la crise du Covid. Le nombre d’apprentis formés a peu varié, (entre 16 000 et 17 000 par an), mais beaucoup renoncent au métier à l’issue de l’apprentissage. Les salaires bas, les horaires contraints et les négociations qui piétinent font qu’il est difficile de concilier vie professionnelle et vie privée.
Ainsi, entre 2019 et 2020, 3 % des salariés avaient quitté la profession, et ce chiffre a dû encore progresser avec la crise sanitaire. Ce manque de personnel conduit à ce que les salariés passent plus de temps au travail, en coiffant un plus grand nombre de clients, ce qui fait peu à peu disparaître le côté artistique et relationnel qui faisait le charme de cette profession.
Dans les services à la personne, les difficultés de recrutement sont considérables : la plupart des salariés sont payés au Smic et les indemnités de transports, que FO a pu renégocier et faire passer de 0,22 euro/km à 0,35 euro/km, ne sont pas à la hauteur, compte tenu de l’inflation. Dans les zones rurales, on compte parfois jusqu’à 30 km entre deux clients, et les salariés ont du mal à rentrer dans leurs frais. »
Richard Roze – Agroalimentaire et emplois de la famille
« La filière viande cumule l’ensemble des conditions pour que le secteur ne soit pas attractif : bas salaires, travail dans les odeurs de sang et d’animaux morts, basse température, pénibilité de nombreux postes (la mécanisation est plus difficile dans ce secteur que dans d’autres), horaires décalés (2/8 ou 3/8, embauche à 3 ou 4 heures du matin), métiers et filière peu valorisés par une partie de la société. La FGTA-FO est force de proposition sur ces sujets et les employeurs doivent écouter nos propositions pour faire bouger les lignes.
Dans le secteur des salariés du particulier employeur, il faut s’attendre à voir la pénurie de main-d’œuvre augmenter fortement ces prochaines années. Que ce soit dans l’aide à domicile ou bien chez les assistantes maternelles, environ un salarié sur deux a plus de 50 ans. Le contingent de départs à la retraite d’ici 2030 va continuer à peser sur la baisse constante des effectifs.
Les assistantes maternelles sont payées au 1/3 du Smic horaire et travaillent dans l’isolement. Ces deux contraintes pèsent lourd sur l’attractivité du secteur mais font aussi que ces professionnelles sont de plus en plus nombreuses à se rapprocher des organisations syndicales pour améliorer leurs droits. Voyons-y une source d’espoir pour un changement ! »
Pascal Saeyvoet – Agriculture – Vins et spiritueux
« Dans les branches professionnelles dont j’ai la charge, les pénuries de main-d’œuvre ont trois sources : des conditions de travail difficiles, un manque de reconnaissance professionnelle et l’application d’une Convention collective moins favorable.
À titre d’exemple, dans les Coop 5 branches, les chauffeurs sont soumis à la CCN de la branche, alors que celle du transport est plus favorable. Ils préfèrent donc partir travailler chez un transporteur.
Dans les coopératives céréalières, les salariés qui travaillent dans des silos sont isolés, ils passent leurs journées dans la poussière et les salaires ne sont pas au rendez-vous. Ces métiers peinent donc à attirer.
Dans les jardineries, la pénurie de main-d’œuvre est importante. En plus d’une polyvalence forcée, tous les niveaux employés sont en dessous du Smic. Il y a peu de perspectives d’évolution et les écarts entre les niveaux de la grille de salaires sont très serrés. La FGTA-FO travaille actuellement sur une nouvelle classification pour tenter de remédier à ce problème.
A contrario, certains secteurs ne connaissent pas ces difficultés de recrutement : ainsi, dans le secteur des vins et spiritueux, les salaires sont bons et la participation et l’intéressement sont très importants. Le seul problème des RH est de trouver des caristes qui possèdent les compétences particulières liées aux spécificités du secteur.
Dans les caves coopératives et chez les fleuristes, il y a de la reconnaissance salariale et des salaires corrects : ce sont souvent des métiers passion pour lesquels les salariés se sentent bien. »
Guillaume Tramcourt – Agriculture
« Les pénuries de saisonniers que subit le monde agricole remettent sur le devant de la scène le problème de l’attractivité des métiers du secteur. Alors que chaque année le monde agricole emploie 1 million de contrats saisonniers, dont 300 000 pour les récoltes et les vendanges, cette année, ce sont près de 20 % d’entre eux qui manquent à l’appel.
Plusieurs causes sont en effet évoquées par les salariés comme :
- Le manque de reconnaissance : l’appellation saisonnier est automatiquement rattachée au Smic, quel que soit l’emploi occupé.
- La pénibilité et les conditions de travail, avec généralement un grand nombre d’heures supplémentaires (60, voire 70 heures travaillées par semaine), le travail à la tâche…
- L’accès au logement ou les conditions d’hébergement, de plus en plus difficiles.
- Le nouveau calcul de l’Assurance chômage, qui vient directement impacter les indemnités et mettre en péril l’équilibre économique de leur mode de vie.
Il est important et vital pour la profession de prendre conscience dès aujourd’hui des causes réelles du désintérêt des salariés pour cette branche d’activité. De plus, l’échec des négociations salariales sur la revalorisation du Smic au 1er août ne va pas arranger les choses : la proposition patronale de maintenir l’inflation sur le 1er palier de la grille a reçu un avis défavorable de toutes les organisations syndicales. »
Alain Wanègue – Agroalimentaire
« Dans le secteur laitier, la pénurie de main-d’œuvre vire à la catastrophe. Il existe de fortes tensions sur certains métiers comme les électromécaniciens par exemple. Les entreprises sont obligées de leur proposer des rémunérations hors grille pour les attirer.
Dans ce secteur, l’activité est continue puisque les vaches produisent du lait chaque jour. Cette dépendance au cycle naturel de production entraîne une organisation qui constitue l’une des grandes raisons du manque d’attrait pour les métiers : travail du week-end, rotations, travail de nuit.
Des efforts ont été engagés pour améliorer la conciliation entre vie privée et vie professionnelle, avec notamment le déploiement des deux 12, c’est-à-dire que des salariés volontaires travaillent 12 heures le samedi et 12 heures le dimanche, afin de libérer le planning des autres salariés. Toutefois, cette organisation, qui ne date pas d’hier, n’est pas la panacée.
Des accords QVT sont négociés pour mieux coller aux aspirations des salariés mais, dans un contexte de sous-effectif, la marge de manœuvre est limitée. Dans certaines entreprises, des lignes sont arrêtées faute de bras. La surcharge de travail affecte les salariés en poste, augmente les arrêts de travail, dégrade l’image des métiers et pèse sur l’attractivité. La baisse du CA diminue les moyens que les entreprises pourraient allouer à d’éventuelles embauches, bref, nous sommes dans un cercle vicieux. Le phénomène dit de la « grande démission » doit faire réagir les employeurs. Désormais, ce sont les salariés qui peuvent imposer leurs conditions aux entreprises.
Par ailleurs, l’absence de prise en charge des frais de transport pèse lourdement sur le budget des ménages en zone rurale, là où sont situées les laiteries. C’est une des pistes à creuser. »
Dossier réalisés par Olivier Grenot et Alexandre Rault, service communication