Depuis 10 ans déjà la Cour de cassation appelait, régulièrement et officiellement dans chacun de ses rapports annuels, une réforme législative pour remédier à la non-conformité du code du travail français au droit européen relatif à l’articulation du droit à congés payés et des absences pour maladie[1].
Alors que ce dernier reconnait un droit à congés payés fondé sur les droits au repos, au loisir et à la protection de la santé garantis à tout salarié, le code du travail français conçoit les congés payés comme un droit acquis en échange de l’accomplissement d’un temps de travail effectif. Il ne prend pas en compte les périodes d’absence pour maladie non professionnelle ni celles pour maladie ou accident d’origine professionnelle au-delà d’un an, dans le calcul des congés payés[2].
Cette conception restrictive a récemment valu une condamnation de l’État pour retard de transposition de la directive 2003/88 du 4 novembre 2003[3].
Et, conséquence ou coïncidence, la chambre sociale de la Cour de cassation, par plusieurs arrêts du 13 septembre dernier, vient d’opérer un salutaire revirement de jurisprudence. Elle écarte les dispositions du code du travail pour se conformer à la règlementation européenne, garantissant ainsi la mise en conformité du droit français au droit européen et l’effectivité des droits des salariés en matière de congés payés.
Ces arrêts, justifiés tant sur le plan humain que sur le plan juridique, sont d’une portée pratique considérable. Ils permettent aux salariés de bénéficier de nouveaux droits directement invocables auprès de leur employeur (1). Il faut néanmoins s’assurer de leur réelle prise en compte dans l’entreprise. C’est la tâche qui incombe désormais aux représentants du personnel (2) qui auront aussi un rôle à jouer pour franchir une dernière étape et tirer toutes les conséquences des textes européens en matière de congés payés (3).
- Deux enseignements principaux peuvent être tirés de cette nouvelle jurisprudence.
Premier enseignement, il faut désormais tenir compte des absences pour maladie pour calculer le nombre de jours de congés payés en cours d’acquisition. Autrement dit, le salarié absent acquiert des congés payés pendant les périodes de suspension du contrat de travail pour maladie non professionnelle comme pour maladie professionnelle ou accident du travail sans limite de durée.
La Cour de cassation semble, au titre du principe de non-discrimination à raison de l’état de santé, appliquer ce revirement aux 5 semaines de congés payés, alors que le droit européen n’en impose que 4. Cette jurisprudence pourrait aussi concerner les congés conventionnels.
Second enseignement, le délai de prescription applicable aux demandes relatives aux indemnités de congés payés ne commence à courir que si l’employeur a pris les mesures nécessaires pour permettre au salarié d’exercer effectivement son droit à congé payé.
Pour rappel, toute action en paiement d’une indemnité compensatrice de congés payés se voit appliquer la prescription triennale sur les salaires. Le point de départ de cette prescription est en principe fixé à l’expiration de la période au cours de laquelle les congés payés auraient pu être pris. Encore faut-il que l’employeur justifie avoir accompli les diligences qui lui incombent légalement afin d’assurer au salarié la possibilité d’exercer effectivement son droit à congé, précise la Cour de cassation dans ses arrêts du 13 septembre 2023. Dans la mesure où l’employeur n’a pas pris en compte les absences pour maladie dans le calcul des droits à congés payés avant ce revirement, il devrait être considéré comme n’ayant jamais accompli les diligences à sa charge, empêchant ainsi les salariés de connaitre leurs droits et de prendre leurs congés payés. La prescription n’aurait donc pas commencé à courir.
Si les entreprises vont devoir, dès à présent, intégrer cette jurisprudence dans le calcul des droits à congés des salariés absents, elles sont aussi tenues de régulariser les droits à congé des salariés malades qui se sont absentés par le passé. Cette régularisation présente d’autant plus d’enjeux qu’elle n’est pas limitée dans le temps par la prescription triennale.
- Cette évolution, pour devenir concrète, nécessite que les représentants du personnel s’en emparent dans l’entreprise. Plusieurs moyens sont mobilisables.
Dans un premier temps, afin d’impulser la prise en compte de ces décisions de justice ou, tout simplement, d’être informé, le CSE peut demander la tenue d’une réunion extraordinaire sur le sujet, en mettant, par exemple, comme point à l’ordre du jour : « Point sur la prise en compte des arrêts maladies dans le calcul des droits à congé passés et futurs des salariés ». Une telle réunion permettrait d’interroger la direction sur la façon dont elle entend appliquer la jurisprudence : principe, modalités, délais, pour le passé comme pour le futur.
La question pourra encore être soulevée dans le cadre de la consultation sur la politique sociale, les conditions de travail et l’emploi (PSCTE) et de l’expertise y afférant. L’objectif sera alors de vérifier les démarches et les calculs entrepris par la direction.
Sur la base des éléments obtenus par le CSE, et selon les cas, une négociation pourrait s’ouvrir sur le sujet. En effet, quid des délais et modalités permettant de considérer que l’employeur a permis au salarié d’exercer son droit à congé, quid de la régularisation de la situation des salariés ayant quitté l’entreprise… Il faut savoir que la Cour de justice de l’union européenne (CJUE) comme la Cour de cassation admettent la limitation conventionnelle de la période de report, sous réserve que cette dernière dépasse de façon significative la période de référence[4]. À ce titre, une période de report de 15 mois a été jugée conforme[5]. En revanche, une solution financière risquerait de se heurter à la jurisprudence selon laquelle le report du congé acquis non pris doit être effectif et ne peut donc pas être remplacé par une compensation financière[6].
En cas de refus de l’employeur de reconnaitre les nouveaux droits à congés payés, les éléments obtenus par les représentants du personnel pourraient permettre d’organiser des actions groupées au Conseil de prud’hommes.
- Ces actions pourraient, faute d’intervention législative, donner l’occasion à la Cour de cassation de se prononcer sur un autre écart entre le droit français et le droit européen : le traitement d’un arrêt maladie survenant pendant les congés des salariés.
À ce jour, sauf convention sur cette question, le droit français considère que le salarié qui tombe malade, au cours de ses congés payés, ne peut exiger de prendre ultérieurement les congés dont il n’a pu bénéficier du fait de son arrêt de travail[7].
Les choses sont-elles en train d’évoluer ? La cour d’appel de Versailles a adopté en 2022 une position contraire à celle de la Cour de cassation en admettant le report. Pour elle, la maladie en cours de congé suspend ce dernier, de sorte que le salarié peut prétendre au reliquat de congé après sa reprise[8]. Elle reprend ainsi à son compte la logique du droit européen.
Gageons que partie comme elle l’est, à défaut d’intervention du législateur, la Cour de cassation suivra la Cour d’appel de Versailles, assumant ainsi pleinement la nouvelle direction qu’elle a prise.
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[1] article 7 de la directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003 et article 31 § 2 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne
[2] articles L 3141-3 et L 3141-5 du Code du travail
[3] CAA Versailles 17-7-2023 n° 22VE00442, Confédération Générale du Travail
[4] Cass. soc. 21-9-2017 n° 16-24.022
[5] CJUE 22-11-2011 aff. 214/10
[6] Cass. soc. 14-10-2009 n° 08-40.375 F-D
[7] Notamment, Cass. soc. 8-11-1984 n° 82-42.372 P ; 4-12-1996 n° 93-44.907 P
[8] CA Versailles 18-5-2022 n° 19/03230