Reprise de l’article de Fanny Darcillon, publié le lundi 28 mars 2022 dans L’InFO Militante.
Au terme d’une journée de débrayages et après avoir menacé d’organiser une deuxième grève, les salariés de Pro à Pro Sud ont obtenu l’augmentation générale qu’ils revendiquaient. Une reconnaissance méritée des efforts consentis par les travailleurs, qui évoquent par ailleurs une maltraitance au travail.
Les délégués FO avaient prévenu la direction de Pro à Pro Sud : « On leur avait dit que leur attitude menait droit dans le mur car en face, les salariés étaient vraiment motivés et ne voulaient rien lâcher », raconte Dominique Pereira, délégué FO dans l’entreprise, qui livre des produits frais et surgelés à destination de la restauration collective. Les employés n’ont finalement pas eu besoin de mener la deuxième grève qu’ils entendaient organiser. Après une journée de débrayage le 9 mars sur les principaux sites – Montauban (Tarn-et-Garonne), Chaponnay (Rhône) et Miramas (Bouches-du-Rhône) –, où près d’un quart des salariés se sont mobilisés, et deux séances de négociations musclées, la direction a finalement accédé aux requêtes des grévistes.
En plus des 60 euros de hausse générale initialement accordés à compter du 1er mars, 20 euros supplémentaires seront attribués à partir du 1er juillet à l’ensemble des travailleurs. La précédente augmentation de 60 euros proposée par la direction était jugée insuffisante par les salariés, après deux années sans ou avec une hausse minime de salaire lors des négociations annuelles obligatoires. « En 2020, on n’a pu avoir que 20 euros d’augmentation, retrace Thierry Farras, délégué syndical central FO. C’était le début de la pandémie, on a compris la situation. Mais en 2021, on a obtenu 0 euro. Cette année, si on acceptait moins de 80 euros, ça n’aurait pas du tout couvert le manque des deux années écoulées ni l’inflation. »
Les jeunes embauchés chez Pro à Pro Sud, où FO affiche une audience de 54,25 %, bénéficieront en outre d’un effort sur la grille des petits salaires : 5 % d’augmentation au bout d’un an, au-dessus de ce qu’on demandait, se réjouit Thierry Farras. Sauf que cette avancée ne concerne que 190 personnes, sur les 874 salariés (et 53 cadres) que compte Pro à Pro Sud : l’obtention de ces 20 euros supplémentaires d’augmentation générale était donc cruciale.
Un sentiment d’injustice
« Dans un tel groupe, je trouvais ça un peu petit de leur part de jouer le bras de fer pour 20 euros », expose Dominique Pereira. Pro à Pro a en effet été racheté il y a cinq ans par le groupe de vente en gros allemand Metro. « L’année dernière, Metro a réalisé des investissements à outrance », souligne en outre Thierry Farras : chambres froides, nouvelle flotte de camions, embauche de onze cadres. « Les cadres ont des voitures de fonction à 80 000 euros, des Audi électriques, tandis que les commerciaux de chez nous font 60 000 kilomètres par an en Clio », tance Dominique Pereira.
De quoi alimenter un sentiment d’injustice, alors que la plupart des salariés luttent plus que jamais pour joindre les deux bouts, le compte bancaire à découvert. « Les gens arrivent en début de mois, ils touchent leur paye et leur compte est déjà à zéro », s’agace le délégué FO. Après six ans d’ancienneté, un chauffeur livreur gagne en moyenne 1 705 euros brut. « La crise énergétique frappe d’autant plus ces salariés qui travaillent dans des entrepôts souvent éloignés des villes, rappelle Carole Desiano, Secrétaire fédérale à la FGTA-FO, en charge du secteur de la grande distribution : les gens font facilement 30 ou 40 kilomètres pour aller travailler. »
Une enquête pour suspicion de harcèlement moral
Le manque de reconnaissance financière semblait d’autant plus insupportable que certaines pratiques managériales sont source de souffrance au travail dans l’entreprise. Thierry Farras dénonce par exemple l’attitude de la direction vis-à-vis des préparateurs. Elle semble les inviter à des comportements individualistes, explique le militant, leur confiant des commandes permettant d’obtenir de meilleures primes et leur demandant aussi quelques services. Au plateau télévente, le militant épingle « de la maltraitance, du harcèlement » : si un employé ne parvient pas à atteindre les objectifs définis en début de semaine, il peut subir des vexations la semaine suivante. Des pratiques qui alimentent d’après lui la « terreur » et le « mutisme » chez les salariés.
À Chaponnay, l’arrivée d’un nouveau directeur d’exploitation et de transport a accentué le mal-être au sein des équipes. « Je vais entamer une procédure auprès d’un cabinet d’expertise pour suspicion de harcèlement moral et de risques psychosociaux », prévient Dominique Pereira. Le militant FO dénonce le licenciement pour faute d’un responsable d’équipe, qui s’était auparavant opposé au nouveau directeur pour défendre les intérêts d’un salarié « à mi-temps thérapeutique, qui travaille de nuit et a fait trois AVC l’été dernier ». L’affaire devrait être prochainement portée devant les Prud’hommes. Le délégué soulève également la question du décompte des heures supplémentaires, injuste selon certains salariés.
Un dialogue social bloqué par la direction
C’est lorsque Metro a racheté Pro à Pro que les salariés ont vraiment senti le vent tourner. « Ils ont commencé par remplacer les cadres supérieurs qui étaient là avant par des cadres Metro », se souvient Dominique Pereira. « Avant, il y avait du dialogue, des pistes de recherche, beaucoup de réflexion, abonde Thierry Farras. Les NAO se finissaient parfois en mai ou en juin, avec un effet rétroactif qui n’est plus appliqué aujourd’hui : la hausse prend effet cette année au 1er mars, donc les salariés perdent déjà deux mois d’augmentation. Il n’y a plus qu’un semblant de dialogue social. » La grève, en revanche, a payé.
La perte de ces acquis n’est malheureusement pas sans conséquences pour l’avenir de l’entreprise. Pro à Pro a désormais des difficultés pour recruter, « du fait de salaires trop bas mais aussi du climat social qui n’est pas bon du tout », estime Dominique Pereira. Sur le site professionnel de recherche d’emploi Indeed, qui permet aux employés ou ex-employés de laisser leur avis sur une entreprise, le site de Chaponnay obtient la note de 2,6 sur 5. Au point que certains démissionnent au bout d’un an, avance Thierry Farras. « Ce qui me soulage, c’est que je prends ma retraite en 2023, mais si j’avais encore dix ans à faire, je chercherais un travail ailleurs », assène-t-il. Pour Dominique Pereira, la mauvaise réputation de l’entreprise est en partie responsable de la pénurie de main-d’œuvre et alimente le recours à la sous-traitance : « Il y a encore six ou sept ans, on ne prenait aucun prestataire extérieur, aucun intérimaire, explique-t-il. Si on n’arrive pas à embaucher, il faut se poser les bonnes questions. »
Car la pandémie a tout de même eu un effet bénéfique sur les salariés de la grande distribution alimentaire, selon la secrétaire fédérale Carole Desiano : « Ils ont pris conscience qu’ils représentaient un secteur important, qu’ils étaient des travailleurs essentiels, chose qui n’était pas aussi claire avant la crise. S’ils n’avaient pas été là, le monde aurait tourné différemment pendant la pandémie : ils ont désormais des attentes plus fortes qu’auparavant. » Conscients de leur utilité, ces salariés n’hésitent désormais plus à se battre pour leurs droits, et avec succès.